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(
artabsolument
)
no 10 • automne 2004 page
51
Esthétique
À propos de l’esthétique de l’éphémère
Six questions à Christine Buci-Glusksmann
Choyodo Anchi.
Courtisane debout.
Kakemono, 81,5 x 40,2 cm. Musée National, Tokyo.
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Ce que les Japonais appellent “monde flot-
tant” –
ukiyo
– le monde des plaisirs des sens et de
l’esprit, le monde ludique et hédoniste de l’époque
d’Edo, repose sur une esthétique consistant à
“capter l’éphémère”, en particulier celui du désir.
Cette conscience aiguë du passage du temps se
double-t-elle d’une mélancolie spécifique ?
À la différence de la mélancolie propre à l’Occident,
celle de la bile noire des grecs, celle de Dürer ou
d’Hamlet, qui a un potentiel mortifère en raison d’une
fixation à l’objet perdu, la mélancolie au Japon est pré-
cisément la conscience du passage du temps, de l’im-
permanence de toutes choses, le
mûjo
. Aussi ai-je pu
distinguer dans l‘
Esthétique de l’éphémère
, deux
modalités de la mélancolie. Celle d’un éphémère
mélancolique au sens fort, avec une douleur qui ronge
l’être jusqu’au néant, et celle d’un éphémère affirmatif,
qui accueille ce que Dogen appelle “le temps-exis-
tence”, le “c’est ainsi” (l’
ainsité
) du zen. L’éphémère,
c’est alors “accueillir l’esprit de la vague”, accepter le
fluant et le flottant de l’existence, et la sagesse sans
culpabilité d’une vie – passage.
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