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page
12
(
artabsolument
)
no 10 • automne 2004
lumière. Et, sans doute, cette matrice trouve-
t-elle son mythe initial, celui des
Icares
(84-
86), avec toutes les transparences légères des
surimpressions et la fragilité du papier qui
donne à voir les intervalles du vide. Or, le
regard icarien est un œil-monde fait d’ascen-
sion et de chute, où l’univers se donne d’en
haut, telle une cartographie couplant micro-
cosme et macrocosme dans des diagrammes
et des abstracts.
Les Coupoles
et les
Rhombes
, avec leur architecture dépouillée et
leurs formes octogonales, symbolisent cet
envol vers le ciel et la perfection d’un imagi-
naire linéaire entre Orient et Occident. Celui
qui n’a cessé de hanter la pensée et l’art.
Formes géométriques originaires de la
genèse du monde du
Timée
de Platon, ou
polyèdre de la mélancolie pensive de Dürer
(en fait un rhomboèdre tronqué) : dans tous
ces cas, l’abstraction cristalline, chère à
Worringer, explore les intersections de lignes
et de surfaces dans une transparence toute
“miroirique”. À l’opposé de la “belle vitalité
grecque”, cette abstraction des cristaux de
l’art, qui nous vient des Égyptiens, arrache
l’objet à la nature pour mieux saisir les formes
éternelles de la matière et de l’architecture.
Najia Mehadji a parcouru tous les paradoxes
du cristallin architectural, sacré ou non.
Dessins à coups de craie sur papier des
Coupoles
avec leur inscription dans deux car-
rés décalés ou étoiles et étoilements de
lumière, en noir et blanc ou en bleu foncé très
profond, les cristaux de l’art semblent tou-
jours échapper au temps humain. Car le cris-
tal est un minéral quasi-organique, avec ses
dessus dessous, ses coupures et les fragmen-
tations multiples de ses interfaces réelles et
virtuelles. Entre transparence et opacité,
réflexion et réfraction, l’image-cristal a été un
des grands modèles du modernisme en art,
au cinéma ou en architecture.
Signes géométriques encore, les
Rhombes,
dans leur mouvement tournant autour d’un
axe, ou le travail à partir du
Timée
de Platon.
Comme si le risque du chaos et l’anxiété spa-
tiale de l’infini ne pouvaient être surmontés
que par une ascèse géométrique, sublimée et
sublimante, qui détache les formes sur fond de
vide, dans un rayonnement lumineux et abs-
trait de l’ombre. Car dans tous ces travaux ani-
més par une véritable topologie spatiale, qui
rejoint les modèles scientifiques contempo-
rains, les agencements sont comme doublés
par une lumière insituable, entre le visible et
l’invisible. Celle qui “tire un plan sur le chaos”
et engendre des “chaosmos”, pour reprendre
l’hommage à Gilles Deleuze. Mais déjà le vor-
tex ou la spirale cosmique des
Enveloppes
indiquent un passage du discontinu au continu
gestuel, celui qui va l’emporter dès I996.
De la matrice cristalline à la matrice orga-
nique et florale, il y a plus qu’un glissement :
un vrai changement de paradigme artistique.
Comme si les fleurs, ces “petites choses de
rien” (Manet), fleurs de grenades, d’aman-
diers ou pivoines immensément agrandies,
prises au cœur, devenaient soudain la méta-
phore de l’univers et le lieu du regard. Car “la
fleur voit”, comme le disait Odilon Redon, qui
décelait déjà “une vision première dans la
Najia Mehadji.
Arborescence.
2001,
craie sanguine
sur papier,
57 x 76 cm.
Najia Mehadji.
Floral.
2003,
craie sanguine
sur papier,
80 x 120 cm.
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