|
peinture
| note d’atelier |
rencontre
|
photographie
|
esthétique
|
domaine public
|
texte
|
bibliothèque
|
évènements
|
page
68
(
artabsolument
)
no 10 • automne 2004
Roman Opalka
Né en 1931 à Abbeville (Somme), vit et travaille à Thézac (Lot-et-Garonne). Depuis 1965, Opalka se consacre
exclusivement à peindre l’ensemble des nombres entiers naturels, de 1 jusqu’à l’infini, selon un protocole très
défini qui le conduit à l’extrême du pictural.
Philippe Piguet : En 1965, vous prenez la décision de
ne plus vous consacrer qu’à un seul et unique objet :
peindre l’ensemble des nombres entiers naturels
de 1 à l’infini. Cette décision, qui s’accompagne de la
mise en œuvre de tout un protocole très précis, peut
apparaître comme une attitude de table rase radi-
cale. À quoi correspondait pour vous une telle atti-
tude au regard de votre démarche de création?
Roman Opalka : Le XX
e
siècle a connu plusieurs
exemples de soi-disant
tabula rasa
. Comme si c’était
possible. Comme si le vide absolu était possible.
Nous sommes condamnés à être éternels parce que
nous venons de l’unité et nous y resterons parce que
le temps de la mort est une réalité et une perception
non mesurables. Parce que ce temps-là n’est pas un
instant mais un moment sans limites, un phénomène
que je nomme :
rencontre par la séparation
.
Séparation et rencontre entre le passé et le futur ;
méditation sur notre présence, sur ses limites dans
l’espace et le temps. Si ma démarche a d’abord été
perçue comme un scandale, ou comme une bêtise
absolue, ce n’est que bien des années plus tard que
son sens a commencé à être perceptible car c’est,
précisément, un programme qui n’a rien à voir avec
l’idée de
tabula rasa
. C’est tout le contraire !
Ph.P. : Qu’est-ce donc qui caractérise votre démarche?
Dès lors que vous avez choisi de mettre en œuvre ce
programme, quelle était exactement votre intention?
R.O. : Je voulais manifester le temps, son change-
ment dans la durée, celui que montre la nature ; mais
d’une manière propre à l’homme, sujet conscient de
sa propre existence : le temps irréversible. Ma
démarche est la manifestation de l’histoire d’une
conscience et, dans mon cas, de celle de l’histoire de
la peinture, sous une forme corporelle et mentale
d’une seule idée : OPALKA 1965 / 1 – ∞, ce qui est une
définition de la vie de l’auteur Roman Opalka : le
début, la
conception
d’une dynamique
de l’unité en expansion du 1 à l’infini.
Une présence, constamment assez
étant
pour être finie par le non fini, par
la mort de l’auteur. Dans cette logique,
la mort de l’auteur est un instrument
de l’achèvement par
le non fini ;
elle est
une définition du
fini par l’in-fini
qui
exclut bien évidemment la date de
l’achèvement de l’œuvre puisqu’il
s’agit de la vie de l’auteur. Mon nom y
figure en majuscules pour différencier
seulement le titre de l’œuvre de son
auteur Roman Opalka. Cette démarche
semble être un radicalisme alors
qu’elle ne vient et qu’elle n’est que sa
propre nécessité intrinsèque.
Le temps
sans la mort ne porte en soi aucune
dimension émotionnelle, voilà pourquoi
cette démarche doit impérativement
être réalisée pendant toute la durée de
vie du peintre que je suis…
Ph.P. : Formellement parlant, cette
œuvre prend différentes formes –
>
>
«Le court moment où les nombres sont encore visibles
pendant que la peinture acrylique sèche.»
1...,7,8,9,10,11,12,13,14,15,16 18,19,20