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(
artabsolument
)
no 4 • printemps 2003 page
31
Ange Leccia : Oui. J’ai projeté cette vidéo
lors de mon exposition
Pacifique
à l’ARC en
conclusion du parcours et je la présente
parfois pour finir mes conférences. C’est
une manière d’évoquer un ailleurs, c’est-à-
dire de donner au spectateur la possibilité
de retrouver son langage. Un film ne peut
exister sans spectateur. Il est toujours
révélé par la personne qui le regarde. Ce qui
est important, c’est que chaque personne
témoigne d’une différence. Chaque specta-
teur a son interprétation et il enrichit
l’œuvre, il l’anime ou lui donne une autre
vie. C’est ce va-et-vient entre l’émission et
la réception qui m’intéresse.
Fabien Danesi : Cette sensibilité était déjà
présente dans tes arrangements d’objets. Je
pense à
Séance
de 1985, pour laquelle tu
avais reconstitué une salle de cinéma dont les
spectateurs étaient des projecteurs super 8,
ou encore au face-à-face entre les deux pro-
jecteurs de cinéma en 1984.
Ange Leccia : Je ne voulais pas être simple-
ment un manipulateur de ready-mades. Pour
moi, ces pièces étaient bien sûr liées à l’ima-
ginaire du cinéma. L’absence d’images évo-
quait la disponibilité. Les projecteurs de la
séance tournaient à vide, ils proposaient leur
lumière en lieu et place d’un film. C’est une
manière d’abstraire les choses et d’être à
l’écoute. La projection permet de se mettre en
retrait par rapport au flux continuel des
images, à la saturation contemporaine.
Fabien Danesi : Est-ce qu’une œuvre comme
Pierrot le Fou
répond également à cette pro-
fusion des représentations ?
Ange Leccia : C’est toujours la même simpli-
cité qui est en jeu. Le panoramique sur la
mer présente la quiétude de l’horizon alors
que le bruit des vagues est de plus en plus
perceptible. Le dialogue se fait entendre et
l’explosion de la voiture se produit. Avec la
répétition, c’est un éternel équilibre entre le
calme et la fureur, entre la stabilité et l’éner-
gie de la déflagration. Là, rien ne se clôt, et
la mort du héros est toujours recommencée.
Fabien Danesi : “Elle est retrouvée, l’éternité”…
Quel regard portes-tu sur le cinéma de
Godard auquel tu as fait ces emprunts ?
Ange Leccia : J’ai une relation surtout senso-
rielle et émotionnelle à ses films. Il a brûlé les
codesducinémaclassiqueet la façondont il scé-
narise les chosesme semble très proche du tra-
vail d’un plasticien. Même si ce n’est pas
toujours une référence directe, son œuvre a été
pourmoi l’unedesmanièresd’établir unpoint de
passage entre le cinéma et les arts plastiques.
Fabien Danesi : Je voudrais qu’on en vienne
justement à
Île de Beauté
que tu as réalisé
en 1996 avec Dominique Gonzalez-Fœrster.
Ce film est issu de bandes vidéo que tu avais
principalement enregistrées pendant une
dizaine d’années durant tes nombreux
séjours en Corse. À partir de cette banque
de données, vous avez, Dominique et toi,
esquissé l’errance d’un personnage en
continuel déplacement entre la Corse et le
Japon. Le héros mélancolique semble ainsi
dessiner un trajet en rapport avec des
images de fiction. Là encore, le réel est déjà
tissé de représentations.
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