|
esthétique
|
note d’atelier
|
filmographie
|
photographie
| texte |
dossier
|
ailleurs
|
domaine public
|
bibliothèque
|
événements
|
page
24
(
artabsolument
)
no 4 • printemps 2003
Texte
Propos de Judit Reigl recueillis par Claude Schweisguth *
Éloge de la peinture
Judit Reigl est née en 1923 en Hongrie. Elle suit de 1941 à 1946 les cours de l’École des beaux-arts de Budapest,
puis passe deux ans à parcourir l’Italie. À son retour en Hongrie, profondément déçue par la situation politique,
elle s’enfuit au péril de sa vie le 11 mars 1950. Quatre mois après, elle arrivait en France – où elle demeure
encore – libre de faire la peinture dans cette “élangues” qu’elle a toujours désirée, c’est-à-dire la “peinture des
Mayas, de Van Hi Tche, de Van Gogh, de Cézanne…” Elle peint alors des tableaux intensément oniriques qui atti-
rent tout de suite l’attention d’André Breton. Ainsi, il organise et préface sa première exposition en 1954 à l’Étoile
scellée. Très vite cependant ce n’est pas l’image qui l’intéresse mais dès 1953 l’exploration des sources vives de
l’écriture automatique : la matière et le geste comme on peut le voir dans la série des Éclatements, des Écritures
en masse, des
Guanos
. Celles-ci ne suggèrent rien d’autre qu’une prise de possession de l’espace “physico-psy-
chique” toujours plus fortement affirmée. En 1966, elle commence la série Homme (il y en aura une centaine)
dans laquelle le corps, en général réduit à un tronc et à des jambes, surgit sur la toile, avec une force extraordi-
naire. La série
Déroulements
(1973-85) apparaît de prime abord comme totalement différente : la matière s’est
allégée pour ne plus laisser apparaître, entre le visible et l’invisible, que la trace de la couleur imprégnée à l’en-
vers et à l’endroit de la toile, à une fréquence régulière. Certaines dont l’horizontalité est accentuée sont modu-
lées comme des fugues, mais dans d’autres aux verticales immenses le modèle serait celui de la colonne, qui
mènera dans les années 80-90 à la redécouverte du corps dans l’espace : figure spectrale suspendue entre l’élan
et la chute sur des fonds vides. Les tableaux sont intitulés
Un corps au pluriel
,
Hors
,
Corps sans prix
. Ainsi
l’œuvre passe d’un même mouvement de l’abstraction à la figuration ou le contraire sans qu’il y ait d’opposition
comme on pourra le voir dans l’entretien.
*Claude Schweisguth, conservatrice au cabinet de dessins du Centre Georges-Pompidou
Elle aurait pume parler de tout ce qu’elle aime
pendant des jours et des nuits car elle aime
tout sans restrictions de style, de temps ou de
lieu. Alors, avec cette passion qui la caracté-
rise, elle évoque dans cet entretien (qu’elle a
un peu retouché par écrit) quelques-unes des
œuvres qui l’ont touchée.
D’emblée elle fait allusion à un texte de Genet
(cité dans le livre d’Edmund White :
Jean
Genet
p. 400), où il raconte une expérience
qu’il aurait eue dans le train et qu’elle-même
a récemment revécue dans le RER : “En face
de moi était assis un homme d’un certain âge,
corps et visage sans grâce, usé ; accidentelle-
ment nos regards se sont croisés, un éclair de
seconde, et j’ai reconnu son identité.” Elle
enchaîne alors avec les mots de l’écrivain :
“… Son regard n’était pas d’un autre : c’était le
mien que je rencontrais dans la glace, par
inadvertance et dans la solitude et l’oubli de
moi.” Cette présence (mot sur lequel elle
reviendra très souvent) où l’unique et l’univer-
sel sont ensemble, non pas par fusion, mais
simplement par l’expérience vécue de cette
même identité entre la substance (cachée
mais toujours là) et l’individu qui se greffe des-
sus, c’est le propre de l’art.
Paul Cézanne
Baigneuses
1900-1906
Mine de plomb
et aquarelle
sur papier jauni
21 x 27 cm
Collection
particulière
1,2,3,4,5 7,8,9,10,11,12,13,14,15,16,...20