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page
42
(
artabsolument
)
no 4 • printemps 2003
Ce qui frappe tout d’abord dans les peintures et dans
les dessins de Georges Seurat, c’est l’immobilité mas-
sive des êtres représentés. Puis leur solitude. Placés
sous nos yeux, calés sur leurs jambes, ils sont bien là.
On constate ainsi, sans s'autoriser à en juger plus,
mais avec un étonnement presque philosophique, qu’il
y a quelque chose plutôt que rien. Indéniablement, le
monde parade : il est arrêté court devant nous, en
fouillis répandu. Le peintre ne se propose pas de
rendre compte de ce qui s’éparpille sous les yeux
(façon Monet), ni de suggérer la présence, à l’arrière
des phénomènes, d’une structure matérielle (façon
Cézanne). Selon ce que Seurat donne à voir, la rigueur
des “mathématiques sévères” ordonne la vie quoti-
dienne ; le monde et la personne se construisent par un
jeu d’horizontales, pour évoquer le calme, ou de verti-
cales, pour marquer l’énergie (selon les propositions
d’Humbert de Superville dans son
Essai sur les signes
inconditionnels de l’art
, 1827) (1). L’œuvre de Seurat
s’apparente à celle des monumentalistes plus qu’à
celle des “témoins oculistes” de son temps (pour
reprendre l’expression polémique de Duchamp). La
vérité extérieure des choses tient à la conception intel-
lectuelle que nous nous en faisons : l’esprit fait du
nécessaire avec de l’épars, comme l’œil compose une
couleur de mille nuances.
Ni dans les dessins, ni dans les peintures de Seurat, il
n’y a d’amorce romanesque. Son œuvre n’accorde rien
à l’anecdote. Sans référence littéraire (contrairement à
ceux de Delacroix), les titres ne prêtent pas à une diva-
gation rêveuse. Les œuvres sont désignées par un nom
seul, sans un article qui les individualiserait,
Chahut,
Parade, Poseuses
.
Un dimanche à la Grande-Jatte
fait
exception en donnant ce dimanche pour modèle de
tous les dimanches d’été. Pour juger de la précision
d’un dessin, Balzac estimait nécessaire, à la façon de
Diderot, de pouvoir induire la vie des personnages de
détails représentés. “Comment les promeneurs sup-
portent-ils leurs soucis ? S’inquiètent-ils de leur repas
du soir ? Qu’espèrent-ils du lendemain ?” À de telles
questions les œuvres de Seurat ne proposent aucun
élément de réponse. Ce qui est décrit n’a ni passé ni
avenir inscrits en lui. Les classes sociales, bien que
marquées par les costumes ou les places occupées au
cirque, ne luttent pas : elles se côtoient en une vie quo-
tidienne. Le banal ordinaire est hiératique (l’art de
Seurat fut dit égyptien), et silencieux. La parole néces-
site un face-à-face absent en ces œuvres ; il a bien un
dessin qui implique la parole, quand les uns aux autres
présentent leurs
Condoléances
.
Un dimanche à la Grande-Jatte
pourrait être contre-
opposé à
l’Embarquement pour Cythère
de Watteau.
Texte
Jean Roudaut
Le désordre mis en ordre
par le peintre même
L’écrivain Jean Roudaut, l’auteur de plusieurs ouvrages de réflexion concernant l’art ou
la poésie, choisit de rendre hommage à celui qui, bien que prématurément mort à 32 ans,
est l’un des précurseurs de la modernité en art : Georges Seurat.
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