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page
36
(
artabsolument
)
no 8 • printemps 2004
déjà célèbres, il a aussi commandé desœuvres à
des contemporains du XVII
e
siècle que l’Histoire
a oubliés… Choisir aujourd’hui des œuvres dans
toute laproliférationqueprésente leXX
e
siècleet
avoir laprétentionde jouer le rôlede laPostérité,
serait une absurdité totale. L’idée de l’exposition
proposée à “Firenze monstre” était de tenter de
retrouver pour le XX
e
siècle ce qui a été l’ambi-
tion–et la liberté–deLéopold, puisdesonneveu
le Grand Duc Côme III. Les échanges réguliers
entreFlorenceet lemuséeduLuxembourg– lieu
médicéen par excellence de Paris – ont permis
que le projet trouve sa place en toute cohérence.
Art Absolument : Quel est le destin de l’autopor-
trait dans l’Histoire de la peinture et que se
passe-t-il à partir de la rupture de lamodernité?
Pascal Bonafoux : Dans l’antiquité, des textes
témoignent d’autoportraits dont il ne reste
plus de traces. Puis, longue éclipse entre l’an-
tiquité et le XI
e
siècle. Alors, dans les marges
des psautiers, l’autoportrait commence à
réapparaître. Dans une lettrine, un person-
nage se désigne comme l’auteur de ces enlu-
minures, prières dont il fait l’offrande à Dieu.
Première émergence d’une singularité… À la
Renaissance, avec la place que l’Homme
prend au centre de toutes choses, l’autopor-
trait entre immédiatement en scène. S’il est
presque “clandestin” à son apparition – pré-
sence, par exemple, de Botticelli assistant
dans un coin de la scène à une
Adoration des
Mages
– cette “clandestinité” ne dure pas.
L’autoportrait est une signature, une affirma-
tion qui accompagne la mise en place du nou-
veau statut d’un artiste qui ne se satisfait plus
d’être un artisan dont le savoir-faire serait au
service d’une cause religieuse ou princière.
L’autoportrait est la revendication de l’œuvre.
De sa singularité. Du pouvoir qu’elle a de
recréer le monde et de conférer la gloire. Ainsi,
Dürer se peint un cartel à lamain, ce qui atteste
et signe la toile. En tant qu’artiste, il lui revient
de recréer le monde : le peintre est à “l’image”
de Dieu, d’où le fait qu’il se représente en
Christ. Avec Dürer l’autoportrait devient indé-
pendant : il est le signe du “triomphe” du
peintre et de la peinture. Et bientôt plusieurs
variations d’autoportraits officiels se mettent
en place. Le peintre, avec la création des acadé-
mies, tient un éminent rôle social.
Parallèlement à cette thématique de l’officia-
lité, dès le XVII
e
siècle, le peintre s’adonne à
toutes les expérimentations. Comme il suffit
d’un miroir et d’un bout de papier, il étudie
avec le modèle le plus disponible qui soit, lui-
même, la physionomie et les expressions pos-
sibles. Rembrandt en est le meilleur exemple.
Et il va plus loin, car il invente le sujet du
peintre au travail. Il nous fait entrer dans l’inti-
mité de la création et de son lieu, l’atelier. Le
faste de la salle d’un palais ne change rien à
l’intensité que provoque ce type d’autopor-
trait : dans les
Ménines
de Vélasquez, pour
regarder le tableau, pour pouvoir regarder ce
peintre décoré de l’Ordre de Santiago au tra-
vail, il faut prendre la place du roi. À la cour de
Madrid, il est le seul, depuis des années, à
accepter que cet homme qui travaille de ses
mains puisse devenir un hidalgo…
Autre dimension (ou métaphore) de l’autopor-
trait, son rôle “publicitaire”. Comme Botticelli
a fait en sorte de ne pas échapper aux
Médicis, Charles Lebrun se représente au
début de sa carrière dans une
Descente du
Saint-Esprit
peinte pour le séminaire de
Saint-Sulpice ; il est le seul personnage qui ne
regarde pas l’action peinte dans le tableau,
mais celui qui regarde le tableau lui-même
Au-delà de cet usage intime dans l’atelier, de
Frère Rufillus.
Autoportrait.
XII
e
siècle,
initiale historiée
d’un manuscrit
enluminé.
Genève,
Bibliothèque
Bodmeriana.