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page
16
(
artabsolument
)
no 8 • printemps 2004
Jean-Pierre Bertrand commente ici quelques-uns de ses travaux échelonnés au cours de son
activité artistique. Où l’on voit qu’il est question de mythologie personnelle, d’île déserte, de
nombre, de miel et de citrons…
Note d’atelier
Jean-Pierre Bertrand : “légendes”
Cette œuvre se compose de cinquante-quatre
sous-verres 14 x 41 cm associant chacun un
texte manuscrit et une photo.
J’avais en tête un texte de Borges où il parle
d’une embouchure imaginaire, sans doute
l’Orénoque. Je l’avais rencontré lamême année
à Buenos Aires, à l’occasion d’un tournage pour
la télévision Calle Mexico où il était directeur de
la Bibliothèque nationale. À la suite d’un voyage
à Londres, le texte de Borges s’associa avec
celui de Defoe : l’histoire d’un homme échoué
sur une île au large de l’Amérique du Sud.
Je m’étais procuré le livre édité par Gauthier-
Languereau, composé en Néo-Didot corps 10.
Les maisons de la Forêt-Noire, en Allemagne,
ont des murs très épais, le livre était posé à l’in-
térieur du rebord d’une fenêtre ouverte sur un
pommier et sur un champ, entre l’intérieur
sombre de la pièce et l’extérieur sur la nature.
J’allais dans cette chambre chaque jour, à un
moment quelconque, prendre le livre à deux
mains, le fermer et l’ouvrir à n’importe qu’elle
page, et le déposer à nouveau, puis prendre une
photographie de la fenêtre avec le livre. L’angle
de prise de vue pouvait varier d’un jour à l’autre
ainsi que l’heure de ma visite. Entre-temps, le
champ à l’extérieur fut fauché. En octobre, à
Paris, j’ordonnais les photographies chronolo-
giquement comme si un lecteur absent avait
poursuivi sa lecture d’un jour à l’autre. J’eus
recours à une loupe pour discerner l’épaisseur
de la partie gauche du livre d’une image à l’autre
ou d’un jour à l’autre. À chaque image était
associée une journée de son journal, qui met à
jour son emploi du temps du moment où il est
rejeté par la mer jusqu’au moment où il s’aven-
ture au centre de l’île, et découvre au bout de sa
course une source (deux anagrammes de
Crusoé) qui le mène dans un lieu qui ressemble
à un jardin planté («looked like a planted garden
»), un verger rempli de citronniers. La chronolo-
gie des images – d’une image à l’autre le pré est
fauché pour ne pas l’être dans l’image sui-
vante…– est aussi utopique que l’authenticité de
ces informations journalières, étant donné qu’il
commence à écrire son journal plusieurs mois
après avoir débarqué dans l’île, s’être constitué
un abri, fabriqué une palissade contre les
hêtres, confectionné une chaise et une table.
Je comptabilisais cinquante-quatre photogra-
phies. Pendant cinquante-quatre jours, j’étais
allé dans cette chambre inoccupée et sombre
du premier étage saisir le livre à deux mains,
le fermer et l’ouvrir au hasard ; les pages du
livre étaient vierges à la lumière du jour.
En fin de matinée d’une journée de mars de
The Daily Memorandum
– 1972 – (collection Fnac, 1974)
Consubstantiellement
, musée Picasso,
Antibes. Du 14 avril au 6 juin.
/…
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