| édito |
(
artabsolument
)
no 8 • printemps 2004 page
9
Que ce soient l’exposition Greco, qui s’est tenue cet
hiver au Metropolitan Museum of New York, où l’on
pouvait voir une salle de dessins de Jackson Pollock
consacrée à certaines œuvres de son prédécesseur ;
celle de “Francis Bacon et la tradition” (Rembrandt,
Van Gogh…), qui se tient actuellement à la Fondation
Beyeler, à Bâle ; l’hommage de Richard Deacon rendu à
Brancusi dans l’atelier reconstitué de celui-ci au
Centre Georges-Pompidou ; l’exposition “Moi ! auto-
portraits du XX
e
siècle”, au musée du Luxembourg, à
Paris, qui montre que l’autoportrait est l’un des genres
de la peinture que les Modernes et les Contemporains
ont fait perdurer, il semblerait que l’art d’aujourd’hui
s’affranchisse enfin du
mythe de la table rase
qui fut le
sien pendant quelques décennies.
Ce mythe a une double origine.
La première, c’est qu’il ne s’agit que d’une banale
stratégie de marketing : si vous voulez prouver qu’une
chose a l’apparence de la nouveauté, il vous faut la faire
surgir du néant, effacer toute référence, exclure toute
antériorité, toute similitude, voire dénigrer ce qui pour-
rait la concurrencer. Pour prendre quelques exemples
parmi d’autres, le minimalisme américain ne fait
jamais référence à Malévitch ou à Tatlin, il semble avoir
“oublié” l’avant-garde russe ; le discrédit de la pein-
ture, du dessin et de la sculpture depuis quelques
années en France, hormis sa réminiscence idéologique
consistant à considérer les Beaux-Arts comme “bour-
geois”, correspond aussi à l’émergence d’autres
médiums qui, nonobstant leurs propres qualités, par-
fois évidentes – loin de nous l’idée que certains artistes
talentueux ne produisent pas une œuvre à partir de
ceux-ci – n’hésitent pas à jeter l’anathème sur ce qui a
constitué durant plusieurs siècles le fondement même
de l’art pour s’y faire une place.
La seconde, c’est qu’il correspond à une lecture
simpliste de l’histoire de l’art. Selon celle-ci, il y aurait
une logique chronologique implacable de la modernité,
qui irait du sujet de l’œuvre (la représentation) aux
constituants de la peinture elle-même (la couleur, le
châssis, tel geste, telle “attitude”…), en nous faisant
passer par exemple d’une partie de l’oeuvre de
Cézanne à celle des cubistes, puis de celles-ci à celles
de Support-Surface et des conceptuels, enfin de ces
dernières à cette pure aberration que d’aucuns consi-
dèrent comme le nec plus ultra contemporain : des
“artistes sans œuvre”.
Bref, dans les deux cas, nous assistons non seule-
ment à une amnésie volontaire ou à une mémoire hyper
sélective mais à un réductionnisme qui a pour point
commun l’exclusion de tout ce qui ne lui correspond pas.
Le fait d’être au début d’un nouveau siècle nous
oblige à faire le bilan du précédent (ce qui a été produc-
tif, mais aussi ce qui a conduit à des impasses) ; les
artistes eux-mêmes semblent ne plus vouloir se satis-
faire de ce réductionnisme. Ils savent que l’art – comme
l’intelligence – est pluriel ; qu’il ne peut se résumer à
une ou deux formules incantatoires considérées
comme définitives. Ils ont besoin de confrontations avec
“l‘autre”, de paradigmes, d’ailleurs, de hors champ, de
mémoire assumée et d’affinité consciente avec ce qui a
déjà été tracé pour prendre les
chemins de traverse
qui
les mènent à leurs propres singularités.
Ils ont besoin de créer les liens entre ce qui est et ce
qui pourrait être, entre ce qui fut et ce qui sera.
Pascal Amel
Éditorial
Fin de partie ?
1,2 4,5,6,7,8,9,10,11,12,13,...20