Si l’œuvre d’Anish Kapoor occupe une
place si particulière dans l’art d’au-
jourd’hui, c’est parce qu’elle n’est pas
réductible à une dimension unique de
l’être humain. Elle dit d’abord une
manière d’être libre – remise enquestion
des procédures classiques de l’art,
renoncement aux habitudes sensorielles
ou abandon des catégories de pensées
confortables –, sa force ébranle toutes
les facettes de l’être, offrant à chacun
La spiritualisation de la matière
chez Anish Kapoor
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Peinture Sculpture
un espace de résonances nouvelles. Ses sculptures
monumentales, comme ses étranges miroirs vides,
explorent les seuils du regard et les puissances
d’un “vouloir croire” quasi mystique. Ce quelque
chose d’équivoque et de sublime à la fois tient à ce
que le voir soit toujours en excès. Expérience trou-
blante et vertigineuse d’un au-delà de la matière
qui transforme le lourd en léger, l’objet en non-
objet, faisant tour à tour voler en éclats les sens et
conjuguer le champ des possibles, pour en élargir
encore les limites.
idéemystiquede la fusion, répond l’appel de la rencontre
et de la communion. Dans l’Inde védique, la graisse est
l’élément constant, symbole d’abondance et de tout
cérémonial lié à la naissance ; elle est renforcée par la
couleur rouge intense et profonde qui évoque le sang,
mais également l’intérieur de chair, la terre natale, la
vie et la mort.
À en croire Kapoor lui-même, son recours à la cire
rouge, qu’il a déjà expérimenté dans d’autres instal-
lations comme
My Red Homeland
(2003) ou
Past,
Present, Future
(2006), exprime son fort désir de
retravailler de manière plus directe avec la couleur
comme matière et, par là même, renouer avec les
sculptures de pigment de ses débuts qui ont joué un
rôle décisif dans le processus de son œuvre. Portant
le titre générique de
1000 Names
(1979-1982), des
cônes, pyramides, croissants ou monticules et cre-
vasses sont entièrement recouverts de poudres de
couleurs primaires rouge, bleue, jaune ou encore de
blanc. Œuvres hybrides et irradiantes, elles sont
comme animées par une énergie vitaliste, proliférant
à travers sols et murs. Composé d’une multitude
infime de particules, le pigment possède cette
Cire et poudres de couleurs
Les sculptures d’Anish Kapoor, aussi
énigmatiques les unes que les autres,
donnent autant de possibilités projec-
tives que de significations latentes par
un jeu de mise en tension des matières,
à l’instar de
Svayambh
, créée in situ au
musée des Beaux-Arts de Nantes dans
le cadre du projet
Estuaire 2007
Nantes – Saint-Nazaire
. Autour d’un
vide central, un immense bloc rouge
(mélange de cire et de vaseline) tra-
verse de part en part le patio muséal
dans un va-et-vient lent et silencieux
dont le mouvement inexorable s’appa-
rente au labeur inutile et sans fin de
Sisyphe. À chaque passage étroit des
arches immaculées, le wagon laisse
des lambeaux de matière carminée,
transformant le bâtiment lui-même en
“corps mythologique”. À un rapport
“charnel” entre un pur ordre géomé-
trique et une sensualité biomorphique,
qui n’est pas étranger à une certaine
Par Soko Phay-Vakalis
Aimant se définir lui-même comme “peintre sculpteur”, Anish Kapoor pose l’entre-deux
(de par son double héritage indien et occidental) comme passage et enjeu de son travail
pour mieux rendre sensible un “espace en devenir” qui abolirait les dualités matière-
esprit, vide-plein ou apparition-disparition dans une perspective poétique et spirituelle.
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