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Éditorial
Lorsque nous avons reçu la pétition
L’art c’est la vie
,
qui circule parmi les artistes plasticiens, bien que
nous soyons aux antipodes du vocabulaire employé,
nous avons été frappés par l’exaspération non feinte
dont elle témoigne, mais surtout par le fait qu’elle
soit signée par plusieurs artistes que nous estimons
et auxquels nous avons consacré un dossier important
sur leur œuvre dans l’un de nos numéros.
Cette pétition qui, en substance, remet en question
« la dérive de la politique de l’État français en matière
d’art contemporain », nous a donné le désir d’inter-
roger, par le biais d’un questionnaire plus global,
quelques-uns des artistes signataires ainsi que des
personnalités du monde de l’art (collectionneurs,
galeristes, intellectuels, institutionnels) dont nous
n’ignorons pas qu’elles sont suffisamment indépen-
dantes d’esprit pour avoir leur propre point de vue.
Car, bien entendu, c’est par la pluralité des points de
vue que nous parviendrons à faire un constat “objectif”
de ce qui est à mettre au crédit de l’État en matière
d’art contemporain,mais aussi sesdysfonctionnements,
voire ses effets pervers.
Comme les lecteurs le savent, depuis le début de la
création de notre revue en mai 2002, nous défendons
les liens entre l’art du passé et celui du présent ; les
artistes en France ; la diversité des médiums (pein-
ture, sculpture, photographie, vidéo, installation),
mais également des générations, des origines, des
esthétiques… tous thèmes que les rédacteurs et les
signataires de
L’art c’est la vie
abordent. D’où, pour
nous, la nécessité de préciser notre position.
Nous sommes contre tout art “officiel” (déclaré ou
implicite). Par éthique : l’art officiel fonctionne tou-
jours par exclusion ; et par goût : aussi intéressante
soit-elle, toute esthétique qui devient hégémonique
produit ses suiveurs, ses “académiciens” et, denovatrice,
devient non seulement normative mais répétitive –
ennuyeuse. Y a-t-il un art “officiel” en France ? Vu du
reste de l’Europe et des États-Unis, force est de
constater que, à chaque fois que vous interrogez un
conservateur ou un artiste de ces différents pays,
il vous répond que non seulement les galeries
françaises ne promeuvent pas suffisamment leurs
artistes (où sont vos peintres ? Vos sculpteurs ? Vos
photographes ?) mais que l’État français soutient
presque exclusivement un art “critique et politique”,
influencé par les conceptuels radicaux des écoles de
New York et de Los Angeles des années soixante-dix
(voix communautaires, féminisme, critique de la
société de consommation, etc.), et que ce n’est
évidemment pas avec ce courant – déjà inscrit dans
l’histoire de l’art du XX
e
siècle – que nous parvien-
drons à émerger sur le marché international (notons,
pour ceux que cela intéresse, que ce dernier privilégie
depuis toujours la peinture, la sculpture, et depuis
peu le dessin et la photographie dite “plasticienne”).
Que l’on ne se méprenne pas : notre revue est très
impliquée dans la confrontation de l’art à l’histoire –
aux tragédies de l’histoire. C’est bouleversant de voir
comment les artistes qui les ont subies ou y sont
sensibles répondent avec leurs faibles moyens –
humainement,
symboliquement
– à la toute puissance
de la barbarie. Mais de toute évidence, si
Guernica
est
un chef-d’œuvre, c’est parce qu’il est autant une
réponse au scandale du bombardement en 1937 de la
petite ville basque espagnole qu’un renouvellement
des formes produites par Picasso lui-même… Pour le
dire autrement : à se satisfaire d’une simple dénon-
ciation (encore que, en France, vous remarquerez que
l’on ne dénonce pas grand-chose : il s’agit plutôt
d’une “attitude”), l’art “critique et politique” n’est
plus un art, mais un message : de l’information. Et si,
aujourd’hui, nous pouvons voir l’œuvre d’unMalevitch,
Polémique : l’État et l’art contemporain
(l’état de l’art contemporain en France)
«… aussi intéressante soit-elle, toute esthé-
tique qui devient hégémonique produit ses
suiveurs, ses “académiciens” et, de nova-
trice, devient non seulement normative mais
répétitive – ennuyeuse. »
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artabsolument
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• no 22 • automne 2007