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artabsolument
)
no 12 • printemps 2005 page
37
sabilité occidentale – notamment française – du soutien au
régime génocidaire. Cependant la reconnaissance du génocide du
Rwanda et des implications occidentales est essentielle à l’élabo-
ration du deuil des survivants et des “héritiers” de la catastrophe.
Faire le deuil, c’est donner une forme et un sens à la perte.
Alfredo Jaar accuse la passivité des médias internationaux qui
taisent ou minimisent ce crime de masse. L’artiste recense les
couvertures du
Newsweek
entre le 6 avril (date de l’attentat qui a
coûté la vie au président rwandais et déclenché le génocide par
voie de la radio nationale) et le 1
er
août 2004 où, enfin, le Rwanda
fait la première de couverture ! Le magazine américain a attendu
quatre mois et plus d’un million de morts rwandais avant de
reconnaître et d’informer de l’ampleur du massacre… Cette
dénonciation s’opère à travers le détournement des dispositifs
médiatiques en confrontant les médias à leur silence. Alfredo
Jaar fait surgir la réalité du génocide à travers l’écran média-
tique et culturel, fait d’images et de témoignages, de telle sorte
que la catastrophe ne soit pas déniée mais pensée ensemble.
L’image suspendue
Sur les sites de Kigali, Butare, Amahoro ou Shangi, Alfredo Jaar
a réalisé plus de trois milles photographies des victimes… Et a
décidé pourtant de n’en montrer aucune. Ayant fait l’expérience
d’un effondrement d’une autre dimension où des pans d’expé-
riences humaines sont devenus invisibles, l’artiste a opté pour
une distance représentative. Il renonce à l’éloquence descriptive
des clichés, à la charge émotionnelle du spectateur devant les
images d’horreur. De même, il refuse de dissoudre son témoi-
gnage dans la surenchère médiatique, car l’excès d’image sature
le regard, détourne l’attention et brouille la conscience : « Les
images n’ont aucun pouvoir dans les médias car elles sont
décontextualisées. On n’en est plus affecté», dit-il.
Évitant la délectation visuelle, Alfredo Jaar tente de restaurer le
respect perdu des images. Car l’in-montrable apparaît comme
une aporie de notre société du spectacle qui aime répandre
l’image au nom du droit à la transparence et à l’information. C’est
pourquoi il inverse la logique du reportage photographique en
masquant les clichés au profit des mots ou en troublant le sens
des images, à l’instar de
Fiels, Road, Cloud
(1997). À la lecture des
croquis, le spectateur réalise que la route baignée d’une lumière
matinale mène à l’église de Ntarama, lieu d’anéantissement
de tout horizon de sens. Sous le nuage d’un ciel radieux s’ouvre
un charnier de cinq cents corps. La douceur des paysages n’a
gourdins et de machettes par des mili-
taires et une partie de la population hutue,
mus par la peur ou l’espoir du profit. D’où
l’urgence, pour Alfredo Jaar, de témoigner
de la survie des rescapés.
Dans
Signs of life
(1994), une centaine de
cartes postales d’animaux et de paysages
rwandais sont envoyées par l’artiste à tra-
vers le monde avec comme seule inscrip-
tion “Caritas Wamazuru is still alive” ou
“Venant Karekezi is still alive”. Ces noms
de survivants viennent dénoncer le géno-
cide qui est traité en haut lieu (pays indus-
trialisés et ONU) comme une affaire de
peu d’importance. Les médias officiels
l’ont ravalé au rang de massacre ethnique,
de société archaïque ou de “barbarie afri-
caine”, confortant dans le déni la respon-
Signs of life.
Carte postale recto verso. 1994.
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