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artabsolument
)
no 1 • printemps 2002 page
13
François Bouillon : On peut peut-être s'interroger sur ce qui se passait au début du
siècle, parallèlement à l'histoire de l'art, et notamment du côté de la psychanalyse.
Freud étudie l'inconscient, puis Jung tente de le penser collectif. Cela laisse supposer
une permanence humaine fixe, quels que soient les époques et les lieux. L’humain est
désigné au-delà des approches formelles et anecdotiques de l’art. Grâce à ce recul, les
différences entre les civilisations qui, au départ, paraissaient insurmontables, s’es-
tompent et disparaissent. Sur un certain plan, art premier et art contemporain se ren-
contrent. Nous prenons conscience de l’aspect "primitif" propre à chaque être humain :
il est en chacun de nous, dans l’avant comme dans l’après, au nord comme au sud.
Le caractère cyclique de l'histoire de l'art, son besoin périodique de renaissance per-
met à l’homme de se situer et de se ressourcer – la modernité pouvant prendre alors
des allures "archaïques" de retour en arrière. Après Dada au début du siècle, les
années 70 manifestent avec l’
Arte Povera
le besoin de se recentrer, de remettre
les pieds dans la terre, de "trouver son axe", de se confronter aux éléments, de revisiter
les lois physiques les plus élémentaires souvent à la recherche d’une forme de spiri-
tualité. Nous avons renoué avec les préoccupations ancestrales propres à toute civili-
sation, mais nous en avons maintenant conscience.
François Bouillon
Élément de
Se
ipsum pinxit
martelant son
ombre rue Amelot
le 03.01.88
Michel Perrin : Pourquoi le regard occidental s'est-il élargi au début du XXe siècle ?
Cela tient, bien sûr, à l'histoire même de l'image, de l'art et de la science en Occident,
marquée entre autres par l'invention de la photographie et l'innovation de l'impression-
nisme qui, en réaction aux conventions pesantes de l'art du XIXe siècle, proposait une
nouvelle transcription de la réalité, une innovation qui trouva vite ses limites.
Parallèlement, les nations colonialistes ont éprouvé à cette époque le besoin de connaître
mieux les sociétés qu'elles dominaient. C'est ainsi qu'est née l'ethnologie. Elle eut
d'abord pour but d'aider à comprendre les résistances et donc à mieux dominer les
peuples soumis. Mais elle a rapidement reconnu des valeurs à des peuples qu'elle étu-
diait, elle a réfléchi sur leurs cultures et leurs arts et elle s'est rapidement éloignée des
théories évolutionnistes qui, jusque-là, avaient légitimé la bonne conscience, lemépris et
la violence coloniales en qualifiant ces peuples de primitifs ou d'attardés. Par ailleurs,
se voulant universaliste, l'Occident a toujours su récupérer et assimiler tout
ce qui lui avait échappé. Les ethnologues, les administrateurs et les voya-
geurs éclairés, en valorisant certains aspects des cultures "primitives", ont
suscité envers elles un intérêt nouveau. Contrairement aux préjugés distillés
précédemment, ces cultures se révélaient vivantes, collectivistes, créatrices
et ancrées dans le sacré... Elles avaient imaginé des formes imprévues, leur
conception de l'art et du monde était non le réalisme, mais le symbolisme,
non la représentation, mais la signification... D'où l'intérêt porté à leurs
objets au début du XXe siècle. Si l'on anticipe la suite de la discussion sur
l'influence des sociétés traditionnelles sur l'art contemporain, ne pourrait-
on dire qu'aujourd'hui c'est davantage la dimension rituelle, les gestes
sacrés liés à ces objets plus que les objets eux-mêmes, qui influencent les
artistes? N'est-ce pas une dimension du rite que transcrivent, explicitement
ou implicitement, maintes "installations" actuelles?
Liliane Durand-Dessert : Pour moi la question essentielle me paraît être la place de l'art
dans notre société... à la fois comme expression individuelle et collective mais aussi
comme rapport à la réalité... De fait, certains artistes - ceux de l'
Arte Povera
par exemple -
se préoccupent autant de ce qui peut définir ontologiquement l'homme que de créer un
lien à la collectivité ou de la faire participer... De sortir de l'art pour l'art... d'un art devenu
un langage spécifique qui ne renvoie qu'à lui-même et n'est compréhensible que pour un
certain nombre de professionnels parlant ce même langage... D'où la nécessité de
>
Mola du poisson et ses petits
ou
du grand poisson qui a
mangé le petit
(ua e ua
mimigananika mor, ua tum
mat ua pipi gucha). 37 x 50 cm