| édito |
        
        
          (
        
        
          artabsolument
        
        
          )
        
        
          no 1    •    printemps 2002    page
        
        
          
            11
          
        
        
          fois) ; qu’elle doit être reconnue tôt
        
        
          ou tard par ses pairs, c’est-à-dire
        
        
          d’abord par les artistes eux-
        
        
          mêmes. Nous nous souvenons des
        
        
          propos de Cézanne sur Titien et
        
        
          Tintoret, de l’enthousiasme de
        
        
          Van Gogh pour Rembrandt, de
        
        
          l’admiration de Baudelaire pour
        
        
          Delacroix, celle d’Apollinaire pour
        
        
          Picasso, l’engouement de celui-ci
        
        
          pour l’art “nègre”, la découverte
        
        
          de l’ornementation orientale
        
        
          par Matisse, la fascination de
        
        
          Giacometti pour la statuaire des
        
        
          Cyclades, celle de Rothko pour les
        
        
          icônes byzantines, de Pollock pour
        
        
          les dessins sur sable des indiens
        
        
          d’Amérique du Nord, de Tapiès
        
        
          pour l’art zen ou de Kieffer pour la
        
        
          mythologie grecque et la Kabbale.
        
        
          Nous remarquons le renouveau
        
        
          d’intérêt de nombre de poètes et de
        
        
          romanciers talentueux pour l’art
        
        
          d’hier et d’aujourd’hui. Nous lisons
        
        
          des points de vue d’historiens de
        
        
          l’art et de conservateurs, de com-
        
        
          missaires d’expositions et de cri-
        
        
          tiques d’art, des “vérités” éparses
        
        
          au gré de livres, de catalogues ou
        
        
          de revues d’actualité. Nous notons
        
        
          l’augmentation constante du public
        
        
          pour les grandes expositions
        
        
          consacrées à un artiste classique
        
        
          ou moderne ou à des thèmes spé-
        
        
          cifiques, voire “pointus”. Nous
        
        
          n’ignorons pas que des collections
        
        
          de grande qualité se constituent ;
        
        
          que des fondations prestigieuses
        
        
          vont bientôt voir le jour en France…
        
        
          Bref, loin des déclarations d’inten-
        
        
          tion et des fausses polémiques,
        
        
          l’histoire de l’art se fait. Elle se crée
        
        
          imperceptiblement, irrésistible-
        
        
          ment : d’un individu à l’autre,
        
        
          d’une sensibilité à l’autre, d’une
        
        
          passion à l’autre.
        
        
          Histoire et géographie
        
        
          L’immense intérêt de l’art c’est
        
        
          qu’il élargit la conscience que nous
        
        
          avons de nous-même et du monde
        
        
          qui nous entoure. Il incarne les
        
        
          possibles d’une époque et d’une
        
        
          civilisation donnée en exprimant
        
        
          une part de l’être humain, et ce,
        
        
          pour toujours. De même que
        
        
          chaque grande œuvre crée son
        
        
          avant et son après, de même
        
        
          chaque mouvement artistique
        
        
          modifie notre vision : les expres-
        
        
          sionnistes nous ont permis de voir
        
        
          la touche “matiériste” des por-
        
        
          traits de Fragonard ; les abstraits
        
        
          lyriques, la modernité de Turner ;
        
        
          les minimalistes, la quintessence
        
        
          de Piero della Francesca ou de
        
        
          Paolo Uccello ; les post-modernes,
        
        
          l’œuvre entière de Picasso… Notre
        
        
          regard ne cesse de se modifier :
        
        
          loin d’être statique, “officielle”,
        
        
          l’histoire est une dynamique, avec
        
        
          ses flux et ses reflux, ses perma-
        
        
          nences, ses oublis, ses résurrec-
        
        
          tions, ses ruptures… Son impor-
        
        
          tance est fonction de ce qu’elle
        
        
          nous révèle ici et maintenant (elle
        
        
          se lit au présent)… D’où l’urgence
        
        
          de découvrir les artistes d’aujour-
        
        
          d’hui… De savoir ce qu’ils regar-
        
        
          dent, ce qui les bouleversent, ce
        
        
          qu’ils rejettent, ce qu’ils admi-
        
        
          rent…  De prendre conscience que,
        
        
          si le XXe siècle a été celui des
        
        
          archives, le siècle où la connais-
        
        
          sance des autres époques et des
        
        
          autres civilisations n’a jamais été
        
        
          aussi grande, le XXIe sera sans
        
        
          doute celui des agencements, des
        
        
          mélanges, des métissages… Qu’il y
        
        
          a bien un “choc des civilisations”
        
        
          mais qu’il est esthétique puisque
        
        
          rien de ce qui définit l’être humain
        
        
          ne nous est étranger !
        
        
          L’Ailleurs
        
        
          Seuls ceux qui se confrontent
        
        
          à l’histoire de l’art peuvent être réelle-
        
        
          ment novateurs en tentant de mettre
        
        
          en forme, à force de patience et de
        
        
          lucidité, à forced’exigenceet de travail
        
        
          sur eux-mêmes, ce qui excède toute
        
        
          individualité : il leur faut tracer
        
        
          d’autres chemins que ceux qui sem-
        
        
          blaient l’être pour toujours, s’engager
        
        
          dans des contrées obscures, inexplo-
        
        
          rées, prendre des risques, se rendre
        
        
          vulnérable, surmonter leur propre
        
        
          désarroi ou leur propre scepticisme,
        
        
          suivre à l’aveugle une voie solitaire et
        
        
          le plus souvent périlleuse pour
        
        
          déboucher – quelquefois in extremis –
        
        
          sur davantagedeclarté. Pour créer de
        
        
          nouvelles œuvres. C’est d’abord une
        
        
          question de désir : chacun de nous
        
        
          cherche ses limites, à repousser la
        
        
          limite, là où l’intime et le dehors se
        
        
          confondent, le lieu où vivre avec plus
        
        
          d’intensité, le lieu où échapper au
        
        
          temps–un “
        
        
          ailleurs
        
        
          ”; chacundenous
        
        
          peut contribuer à l’émergence de ce
        
        
          qui constitue le meilleur de l’être (sa
        
        
          capacité d’espoir et de rêve, son
        
        
          besoin de liberté et de perfectionne-
        
        
          ment) ; chacun de nous peut contri-
        
        
          buer à l’émergence de ce qui nous
        
        
          soutient et nous exalte. Oui, le temps
        
        
          est sans doute de nouveau venu d’op-
        
        
          poser, ànotremanière, lacivilisationà
        
        
          la barbarie ; de favoriser ce qui est
        
        
          plus essentiel et plus durable que
        
        
          nous-même ; de faire advenir ce qui
        
        
          nous délivre un tant soit peu de notre
        
        
          finitude. Oui, le temps est sans doute
        
        
          de nouveau venu d’être à l’écoute de
        
        
          tous ceux qui - artistes, écrivains,
        
        
          conservateurs de musée, critiques
        
        
          d’art, collectionneurs, amateurs d’art
        
        
          -savent que l’art peut “changer lavie”.
        
        
          Pascal Amel