| édito |
        
        
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          (
        
        
          artabsolument
        
        
          )
        
        
          no 1    •    printemps 2002
        
        
          “L’intelligence croît chez les
        
        
          hommes selon ce que présentement
        
        
          ils peuvent percevoir.”
        
        
          Empédocle, fragment 106
        
        
          Le petit reste
        
        
          Nous sommes encore quelques-
        
        
          uns à penser que l’art peut procurer
        
        
          des sensations et des émotions
        
        
          inédites. Que certaines œuvres
        
        
          d’art peuvent créer une nouvelle
        
        
          manière de percevoir et de sentir,
        
        
          d’imaginer et de penser. Qu’elles
        
        
          peuvent nous toucher physique-
        
        
          ment, mentalement ou spirituelle-
        
        
          ment. Que si elles dépendent évi-
        
        
          demment d’un contexte – si elles
        
        
          ne peuvent émerger qu’à travers
        
        
          celui-ci – c’est à l’aune de ce qu’elles
        
        
          nous apportent ici  et maintenant
        
        
          qu’elles demeureront. Qu’elles
        
        
          sont, certes, toujours engendrées
        
        
          par des pratiques locales, indivi-
        
        
          duelles,
        
        
          singulières
        
        
          , mais que, en
        
        
          définitive, ce qui importe c’est
        
        
          qu’elles découvrent un point de vue
        
        
          qui était encore ignoré jusque-là,
        
        
          qu’elles délivrent du global, du
        
        
          durable, de l’impersonnel - qu’elles
        
        
          soient en quelque sorte “
        
        
          absolu
        
        
          ”.
        
        
          Des goûts et des couleurs
        
        
          Compte tenu de la grande diffi-
        
        
          culté de faire une œuvre, de sa
        
        
          rareté, il est tentant de prôner la
        
        
          table rase ou d’instrumentaliser
        
        
          l’art à d’autres fins que les
        
        
          siennes. De faire croire qu’il y a
        
        
          des “recettes” ou des “postures”
        
        
          infaillibles pour créer. Que tout art
        
        
          digne de ce nom se constitue en
        
        
          fonction de dogmes et d’ana-
        
        
          thèmes, d’auto-célébration et de
        
        
          marketing. À lire les présupposés
        
        
          de la plupart on a parfois envie de
        
        
          leur donner raison, sauf qu’il y a
        
        
          toujours dans l’art un contre-
        
        
          exemple qui ruine leur raisonne-
        
        
          ment – un "irréductible" qui s’ins-
        
        
          crit dans une pratique que les
        
        
          lieux communs avaient pourtant
        
        
          définitivement condamnée : pour
        
        
          prendre quelques exemples, ceux
        
        
          qui vitupèrent  que les vidéos et
        
        
          les installations ne sont pas de
        
        
          l’art devraient prendre le temps
        
        
          de regarder attentivement les
        
        
          poèmes visuels de Bill Viola, les
        
        
          œuvres
        
        
          in
        
        
          situ
        
        
          de Christian
        
        
          Boltanski et de Jean-Pierre
        
        
          Raynaud, d’Annette Messager et de
        
        
          Sophie Calle, de Marc Couturier et
        
        
          d’Ernest Pignon-Ernest ; ceux qui
        
        
          nient toute légitimité à la peinture
        
        
          et à la sculpture depuis les années
        
        
          60, contempler les œuvres de
        
        
          Sigmar Polke, de Julian Schnabel,
        
        
          de Paul Rebeyrolle , de José-Maria
        
        
          Sicilia,  celles de Judith Reigl et de
        
        
          Geneviève Asse, de Jean-Pierre
        
        
          Pincemin et de Gérard Garouste,
        
        
          les peintures conceptuelles de
        
        
          Jean-Michel Alberola et de Bernard
        
        
          Frize, les œuvres sculpturales de
        
        
          Tony Cragg, de Jaume Plensa,
        
        
          de Rebecca Horn, de François
        
        
          Morrelet, de Vladimir Skoda et
        
        
          de François Bouillon ; ceux qui
        
        
          considèrent  que la “photographie
        
        
          plasticienne” est une invention des
        
        
          critiques, voir les œuvres de Valérie
        
        
          Belin, de George Rousse, de Patrick
        
        
          Tosani ou de Pascal Kern ; ceux qui
        
        
          pensent que l’art est limité à l’occi-
        
        
          dent,
        
        
          prendre
        
        
          connaissance
        
        
          de l’œuvre d’Anish Kappour, de
        
        
          Shirin Neshat et de Lee Ufan qui
        
        
          sont des artistes essentiels de ces
        
        
          dernières années ; ceux qui souhai-
        
        
          tent faire de Paris une “plaque
        
        
          tournante de l’art contemporain”
        
        
          ne pas ignorer que, depuis les
        
        
          années 70, les artistes vivants en
        
        
          France sont marginalisés par les
        
        
          instances du marché internatio-
        
        
          nal… etc, etc… L’art excède toujours
        
        
          la définition que certains vou-
        
        
          draient dogmatiquement lui don-
        
        
          ner… Il est à chaque fois unique…
        
        
          une chance… un coup de dé… un
        
        
          miracle…
        
        
          1+ 1
        
        
          Le miracle n’est pas qu’il y ait
        
        
          des artistes mais qu’il y ait une his-
        
        
          toire de l’art. Ce n’est pas le fait
        
        
          qu’il y ait des individus plus sen-
        
        
          sibles ou plus doués que d’autres,
        
        
          mais que, malgré l’officialité,
        
        
          l’idéologie, les réseaux d’influence,
        
        
          la mode, il y ait une histoire de l’art
        
        
          constituée d’œuvres qui, par défi-
        
        
          nition, ont su résisté au temps en
        
        
          faisant éprouver à ceux qui les ont
        
        
          perçues une émotion et une sensa-
        
        
          tion durables… Ce qui nous inté-
        
        
          resse ce sont les “vrais” artistes,
        
        
          c’est-à-dire ceux qui nous révèlent
        
        
          une part de nous-même que nous
        
        
          ignorions jusque-là. Ceux que vous
        
        
          estimez tels ne le sont pas forcé-
        
        
          ment pour nous, et les critères
        
        
          avec lesquels vous jugez de la per-
        
        
          tinence de telle ou telle œuvre
        
        
          n’ont peut-être pas d’autre légiti-
        
        
          mité que votre goût - pourriez-vous
        
        
          nous rétorquer ? Certes, admet-
        
        
          trons-nous, mais nous ne sommes
        
        
          pas des procureurs, encore moins
        
        
          des donneurs de leçon ! Nous pen-
        
        
          sons simplement qu’une œuvre
        
        
          doit se développer dans le temps
        
        
          avec sa cohérence et ses fulgu-
        
        
          rances ; qu’elle doit avoir plusieurs
        
        
          niveaux de lecture (qu’on puisse la
        
        
          voir ou la lire ou l’écouter plusieurs
        
        
          Éditorial
        
        
          Les cahiers de l’art d’hier et d’aujourd’hui