Page 10 - Aperçu AA 3 décembre 2002

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page 32 (artabsolument ) no 3 • hiver 2003
Texte Yves Peyré
Visite à Vélasquez et Goya
sur leurs terres du Prado
Lors d’un voyage à Madrid, un manque soudain se
creuse dans le réel comme dans notre esprit. Devant
l’application et, malgré tout, le tremblement, pour néo-
classique qu’il soit, du Palais Royal, on cherche à devi-
ner ce que fut, avant l’incendie de Noël 1724, le vieux
palais de l’Alcazar. On se plonge dans un souvenir
impossible, on voit renaître – pure imagination – le lieu
qui fut certes celui de Charles Quint ou de Philippe II
mais surtout le quotidien de Vélasquez. Ces paysages à
perte de fenêtres, ces salles à la luminosité blafarde et
raffinée, le crissement des soies et des
brocards, le murmure ardent des cava-
liers, le sourire navré d’enfants sans
enfance, le pas particulier de tel ou tel
nain, tout cela revient et tout cela fut
l’Alcazar ou plutôt le monde multiple, à
la fois très clair et très obscur, que
Vélasquez y discerna. Nous recréons
dans les brumes nostalgiques d’un
songe le soubassement d’une peinture
impérieuse et superbement ambiguë.
Comme nous aimerions avoir foulé le sol
où elle s’enracinait ! À ceux que tenaille
le désir d’un pèlerinage qui embrasse-
rait plus que la rêverie, il reste à gagner
l’ermitage de San Antonio de la Florida.
Là, point d’incendie, mais le dépôt d’un
autre feu par Goya, sur la volée des murs
s’embrase sa part diurne et nocturne, il
magnifie la rencontre du populaire et du
miracle, ce lieu touche au sacré, la sain-
teté y flotte et il rappelle (Goya y est
enterré) ce qu’est à Venise la Madonna
dell’Orto pour Tintoret. Tout alors se
prend à chavirer dans nos têtes, incer-
taines du présent comme de la surabon-
dance de la mémoire. C’est au Prado
Goya
La laitière
de Bordeaux
1827
Huile sur toile
74 x 68 cm
Musée du Prado
Madrid
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Le poète Yves Peyré, qui est aussi le directeur littéraire de la Bibliothèque Jacques Doucet,
éprouve un intérêt aussi grand pour l’art d’hier que pour celui d’aujourdhui. Il nous convie
à revoir avec lui deux des plus grands peintres de l’histoire de l’art.