Fred Forest a créé en France dès 1968 les premiers environnements interactifs utilisant l’informatique et la
vidéo. Depuis, il intègre dans sa démarche artistique tous les supports de communication : presse écrite,
téléphone, fax, radio, télévision, films vidéo, câble, journaux lumineux et électroniques, robotique, réseaux
télématiques, et bien sûr toutes les possibilités du web.
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numéro 26
septembre 2008
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Carte blanche
Fred Forest,
artiste du net
Autoportrait Fred Forest, Second Life.
2008.
FRED FOREST, D’OÙ JE VIENS ?
Je suis né enAlgérie. Je ne suis pas né dans un choumais dans
un cactus. On a dit de nous, jusqu’à la nausée, que nous étions
tous d’affreux colonialistes. C’est faux. Archifaux. On a écrit
l’histoire en rangeant ceux qui torturent, toujours du même
côté.Undemi-siècle s’est écoulédepuis,et la lignedespréjugés
et des falsifications de l’histoire s’est à peine déplacée. Mon
père tapait les pieds nus dans la boîte de conserve qui servait
deballonavec ses copains.Ses copains qui s’appelaientMiloud
ou Mokthar. Les Miloud et les Mokhtar, ils étaient au même
titre quemoi au collège deMascara. Nous étions tous ensem-
ble des fils du soleil qui, à l’occasion, les uns comme les autres,
dans un élan confondu, comme Camus, choisissions plutôt
notremère que la justice. La justice, ou plutôt une parodie de
justice. La justice des hommes et leur aveuglement, qui à la
même époque dans les salons parisiens voyaient des intellec-
tuels complaisants, sourds et aveugles à la douleur dumonde,
glorifier ou tolérer par pure lâcheté les commanditaires du
goulag. Je me demande même si la lâcheté, la complaisance
et lemanquededigniténe sont pas des traits qui caractérisent
une certaine société française,quandonobserve et analyse,en
fin entomologiste, certains comportements dans lemilieu de
l’art contemporain, ses chapelles et ses centres de pouvoir.
Et comme ma tante Simone était autodidacte et artiste
amateur, à force de la regarder faire de la peinture, je suis
devenu, moi aussi, par l’exemple qu’elle me donnait, mimé-
tisme et amour, un artiste amateur toutema vie. Oui, être un
artiste“professionnel”, c’est plutôt pourmoi une hybridation
curieuse, nourrie de contradictions ontologiques. C’est un
peu comme si vous pouviez parler de profession pour un
prêtre ou pour la dame pipi au buffet de la gare de Lyon. Bref,
la guerre d’Algérie est survenue, et comme c’était un choix
seulement binaire entre le cercueil et la valise, j’ai préféré la
valise. Postier à Mascara, je me suis retrouvé postier à Paris.
Bien m’en a pris, car mon voisin, M. Bernard, petit épicier
au coin de la rue Pascal-Muselli, s’est fait saigner à blanc,
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