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numéro 26
septembre 2008
Je suis donc parti dans les années 1970 pour Istanbul,
une ville cosmopolite, plus ouverte. Bien avant le coup
d’État, il était devenu impossible d’exister en tant
qu’artiste. Peintre ou comédien d’ailleurs, ce que j’étais
devenu à l’époque. Je peux dire que le coup d’État de
1980 fut décisif. Il me fallait partir et venir à Paris
s’est avéré pour moi plus qu’une évidence, la fin d’une
longue attente !
PA
|
Tu évoques ton intérêt pour les sites archéologi-
ques et la Grèce antique ; l’on sait que la fameuse ville
de Troie était située en Turquie. Est-ce à dire que tu
aimais déjà, si l’on peut l’exprimer ainsi, “récupérer”
les ruines pour leur restituer une forme de vie ? Par
ailleurs, penses-tu, ainsi que Malraux l’a théorisé dans
un célèbre texte, que le fragment peut, par sa sugges-
tion, être parfois plus “beau” que la totalité?
Coskun
|
En fait, je n’ai pas eu l’occasion durantmon enfance
de voir une sculpture grecque ou romaine intacte et bien
conservée. Chez moi, en Turquie, pour les plus entiè-
res, il leur manquait soit la tête, les mains ou les bras,
soit les parties génitales pour la bienséance du regard.
Ce qui fait fonctionner l’imaginaire ! J’ai naturellement
accepté les fragments, sans hiérarchie et sans préfé-
rence. J’avais 10 ans et j’exposais tous ces morceaux
que je trouvais en fouillant la terre, dans la cave paren-
tale. Je les offrais aux touristes qui passaient. C’était
pour moi un jeu ! Aujourd’hui, je sais que suggérer
Pascal Amel
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Tu es né dans un petit village en Turquie?
Coskun
|
Je suis né au pied de la montagne Ararat. J’ai
grandi à Iznik, j’ai vécu à Bursa et à Istanbul. Ces villes
m’ont chacune apporté une culture comme elles ont
formé mon regard à l’art. Au plus loin que je me sou-
vienne, je découvrais enfant la faïence d’Iznik comme
on découvre un trésor. J’en ressentais la richesse et
la beauté sans qu’on m’en ait expliqué la rareté. Ma
fascination était identique pour les vestiges grecs et
romains qui faisaient partie de mon quotidien. J’en
observais partout autour de moi comme la fois où je
surpris, dans une cour, un buste de marbre retourné
utilisé comme marchepied pour monter à cheval…
PA
|
Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à quitter ton
pays pour venir en France? Par ailleurs, comment t’est
venu le désir de dessiner, de peindre, de sculpter?
Coskun
|
L’art ancien faisait partie de mon quotidien et
c’est à travers la lecture des magazines et des livres
que j’ai été attentif aux artistes modernes. À l’époque
(les années 1960), même avec des reproductions en
noir et blanc de Matisse, Picasso, Gauguin, Van Gogh
et Toulouse-Lautrec, je ressentais une complète et
fusionnelle compréhension de leur langage. Ils me
confortaient dans ce que j’aimais faire : peindre, sculp-
ter, dessiner. Ce qui n’était pas évident à imposer à
mon entourage.
Entretien avec Pascal Amel
>
Rencontre
Coskun, la ligne et la matière
Ci-contre :
Me voici.
2005, bois polychrome, 292 x 70 x 82 cm.
Au fil de Marcoussis
, Marcoussis, 2007.
>
Rencontre avec un artiste qui, à travers la sculpture et le dessin, la mise en scène et l’
in situ
, ne craint pas de
produire des “effets” sur le spectateur.
Coskun in situ.
Sculptures monumentales dans
le centre-ville de Boulogne-Billancourt :
Grand-Place, parc Rothschild et espace Landowski.
Du 20 septembre au 23 novembre 2008.
ACTU
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