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62
(
artabsolument
)
no 16 • printemps 2006
Une œuvre au noir
L’art de lamémoire condense une réflexion sur le sta-
tut et le processus de l’image, le visible et l’invisible,
le document et sa valeur de preuve. Il porte en lui sa
propre contradiction avec l’impossible représenta-
tion. Malgré le flot d’archives, de documents visuels
qui permettent d’écrire l’histoire de la Shoah, cet art
exprime la difficulté à convoquer une image. Face à
ce constat, les artistes s’inspirent des failles de notre
mémoire collective. Celle-ci s’offre à nous brouillée,
endommagée ou fragmentaire à l’image des photo-
graphies en noir et blanc de visages d’enfants morts
extraites de journaux et inventoriées par Christian
Boltanski. Reste alors à réactiver les souvenirs à par-
tir de l’empreinte de ces photographies iconiques,
afin de reconstituer une “mémoire suggestive”.
Ces portraits vides comme autant de corps absents,
offrent au sens rituel de l’œuvre d’art un dernier
refuge. La profondeur du noir nous absorbe tout
entier, nous plonge au plus profond de l’horreur, de
cette noirceur de l’histoire qu’aucun mot n’est assez
fort pour exprimer. Par conséquent, l’art de la
mémoire se situe au-delà du visible, dans les profon-
deurs des ténèbres, celles-là même convoquées par
Boltanski dans son
Théâtre d’ombres
(1984). Ces
ombres, métaphores de la barbarie humaine ou
images de revenants, ne sont-elles pas les incarna-
tions de la Connaissance et de la Vérité dont le mythe
de la Caverne de Platon se fait l’écho ? Ou bien doit-on
y voir une référence aux origines de la peinture incar-
nées par la fille de Butades de Sicyone qui peignit la
silhouette de son amant à partir de son ombre proje-
tée avant qu’il ne parte à la guerre ?
Certes l’élaboration d’une “œuvre au noir” renoue
avec le rapport invisible que l’art entretient avec la
peinture ancienne. L’œuvre redeviendrait alors le
support contingent d’une démarche initiatique et spi-
rituelle d’un cérémonial.
De la disparition
D’ailleurs, la
Réserve du musée des enfants
(1989) de
Boltanski ne s’apparente-t-elle pas à un étrange
“trésor”, sorte de reliquaire-monstrance exposé
dans les sous-sols du musée d’Art moderne de
Paris ? Là, des centaines de vêtements d’enfants sont
entassés sur des étagères. Que révèlent-ils si ce
n’est la trace d’une disparition ? L’exhibition de “ce
qui reste” (sens étymologique de “relique”) coïncide
en effet avec une éclipse progressive de l’image et
Le Mémorial résulte d'une manière de penser et de pleurer la destruction de la judéité euro-
péenne dans les années 1930-40. Les archives et les photographies conservées sont autant de
preuves des souffrances subies par un peuple. Elles invoquent également lemiracle de la survie :
la mémoire n'est plus considérée comme une fin en soi mais comme un renouveau, un espoir.
C'est dans cette brèche que s'est engouffrée la création contemporaine pour produire aujour-
d'hui encore une œuvre pertinente sur l'Holocauste.
Esthétique
Les artistes et l’Holocauste
Par Alexandra Fau
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