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Qu’est-ce que l’art du pastel sinon la conver-
sation raffinée d’un peintre avec son modèle,
empreinte de « raisonnements et déraisonne-
ments courts» (Montesquieu), dans une affection
générale des sens? Presque une définition de la
France des Lumières. Apparu à la Renaissance,
à la suite des Clouet, ce bâtonnet formé de craie
ou de plâtre, mélangé à des pigments de cou-
leurs et solidifié grâce à de la gomme arabique,
répand sa poudre colorée à la façon des ailes
d’un papillon. À la fin du XVII
e
siècle, Charles Le
Brun apprécie sa vitesse d’exécution pour fixer
les traits réels de Louis XIV. Usant d’un moel-
leux et de passages de sang approchant au plus
près de la carnation, Joseph Vivien connaît le
Pastels du Louvre
La poudre aux yeux
succès, en osant dessiner au pastel intégral des
effigies aux dimensions identiques à celles de
l’huile. En 1701, il devient le premier « peintre
en portraicts de pastèle» nommé à l’Académie
royale. C’est toutefois le voyage à Paris en 1720
de la pastelliste vénitienne Rosalba Carriera, à
l’invitation de son mécène le banquier Pierre
Crozat, qui assure le triomphe absolu du pastel
en France. Dans ses têtes vaporeuses et ses
demi-figures de fantaisie, la Carriera oppose à
la solennité un peu compassée de ses prédé-
cesseurs une grâce et une fraîcheur inédites.
François Boucher ou Jean-Marc Nattier se font
immédiatement les zélés serviteurs de cette
esthétique du paraître. Bien qu’admirateur du
talent de la Vénitienne, Maurice Quentin de
La Tour soumet le pastel non plus à la beauté
de l’âme mais à la vérité de l’être. Confiant à
ses craies le sel de l’esprit de Voltaire, La Tour
transcrit avec finesse et humour la psychologie
En société – Pastels du Louvre des XVII
e
et XVIII
e
siècles
Musée du Louvre, Paris. Du 7 juin au 10 septembre 2018
Commissariat : Xavier Salmon
Maurice Quentin de La Tour.
Jeanne Antoinette Lenormant d’Étiolles
,
marquise de Pompadour (1721-1764).
1752-55, pastel, gouache, huit feuilles de papier bleu, toile tendue sur châssis, 178,5 x 131 cm.
Musée du Louvre, Paris.
PAR EMMANUEL DAYDÉ
Avec ses 156 œuvres de Vivien à Prud’hon, la collection de pastels des
XVII
e
et XVIII
e
siècles du Louvre demeure unique au monde. À l’occasion
d’une campagne de dépoussiérage, 120 de ces fragiles papillons de nuit
exposent leur naturel des Lumières à la Rotonde Sully, nouvelle salle
des arts graphiques. Si la couleur avait des ailes.
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