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logique de combat pour la liberté de l’humanité : il
le représente en train de courir comme s’il espérait
trouver une issue au labyrinthe et échapper à son
mortel destin. Dès son introduction, cette figure
incarne aussi la passion physique de Picasso pour
la jeune et jolie Marie-Thérèse Walter, rencontrée
début 1927. Dans les peintures, les dessins, les gra-
vures, le carnage formel et sensuel propose une
fusion érotique et primitive qui évoque la possession
amoureuse mais consacre paradoxalement la figure
d’un retour à l’ordre stylistique.
Dès 1900, Lord Evans avait mis à jour la civilisation
minoenne mais c’est en 1940 que l’on découvre le
bestiaire préhistorique de Lascaux et qu’on remet à
jour le culte de Mithra, le taureau primordial. Il y a
donc quelque chose de l’air du temps entre ce goût
pour l’art des origines et l’inspiration de Picasso.
L’exposition montre avec brio le développement
d’un thème majeur de l’histoire de l’art et la reprise
de ce mythe initiatique et funéraire par Picasso, dont
vont également s’emparer Masson, Chirico, Matisse,
Picabia, Ernst, Dalí, Magritte, Miró… Son impact sur
la création d’aujourd’hui peut se lire dans la sculp-
ture de Claude et François-Xavier Lalanne, un grand
dessin d’Ernest Pignon-Ernest ou une installation
d’Isabelle de Borchgrave joliment intitulée
Picasso
et les sept femmes du labyrinthe
– à l’image des
sept victimes offertes au monstre – aussi bien que
dans la littérature, la photographie, le cinéma de
Jean Cocteau à Federico Fellini sans oublier la bande
dessinée et les jeux vidéo. Le tout orchestré par la
voix lascive de Barbara et sa sensuelle offrande à la
bête dans sa chanson
Le Minotaure
.
PICASSO «MINOTORUS» EST !
Dès 1928, le thème du Minotaure apparaît dans
l’œuvre de Picasso sous la forme d’un collage. À
partir de 1932, le personnage s’invite durablement
dans l’atelier avec la production de la couverture de
la revue surréaliste
Minotaure
éditée par Tériade et
Skira. Ce nouvel avatar de l’artiste remplace l’Arle-
quin de la période rose. Le Minotaure porte d’ailleurs
un costume d’Arlequin dans le rideau de scène conçu
en 1936 pour
14 juillet
de Romain Rolland, créant une
allégorie du capitalisme dans cette célébration liant
la prise de la Bastille et l’avènement du Front popu-
laire. La grande tapisserie de la Manufacture des
Gobelins du
Minotaure courant
(1943-44) présente
l’homme à tête de taureau comme motif central du
choix artistique de Picasso tant par sa proximité avec
la corrida que parce qu’il symbolise l’ambiguïté
de l’homme, entre le divin et le bestial, dans une
PICASSO, L’ATELIER DU MINOTAURE
PALAIS LUMIÈRE, ÉVIAN
DU 30 JUIN AU 7 OCTOBRE 2018
COMMISSARIAT : OLIVIER LE BIHAN,
ASSISTÉ DE ROBERT ROCCA
ET WILLIAM SAADÉ
jeunes filles en tribut. Son fils Thésée se porte volon-
taire et tue l’animal. Il sort du labyrinthe grâce au fil
magique d’Ariane, une des filles de Minos. Tous les
développements littéraires et artistiques du mythe
sont illustrés dans l’exposition par une chronologie
didactique. Parmi ses différentes versions, celle de
Jorge Luis Borges dans
La Demeure d’Astérion
laisse
la parole au Minotaure qui y décrit sa vie, ses jeux,
ses rêveries, mais aussi son ennui. C’est le mythe
tragique saisi du point de vue du monstre.
Devant les toiles de Charles-Édouard Chaise et de
Jean-Baptiste Peytavin, le commissaire de l’expo-
sition Olivier Le Bihan précise : « Ravivée par les
découvertes archéologiques du XVIII
e
siècle, l’image
du Minotaure s’invite au répertoire de la peinture
et de la sculpture. La victoire de Thésée sur l’ogre
hybride apparaît dans les Salons et le sujet est donné
à plusieurs reprises au concours du prix de Rome. »
Dans cette section prépicassienne, consacrée à une
relecture néoclassique, une sculpture de seulement
46 cm,
Thésée combattant le Minotaure
d’Antoine-
Louis Barye de 1843, conjugue à merveille le mou-
vement et la vigueur. Le petit bronze dégage une
impression de grandeur et de force. Plus tard dans
le même siècle, toute l’œuvre symboliste de Gustave
Moreau montre un vaste intérêt pour les thèmes
antiques : Œdipe et le sphinx, Orphée, Sapho… le
peintre traite ici merveilleusement de la folie amou-
reuse de Pasiphaé dans un vaste cycle.
Pablo Picasso.
Masque de Minotaure.
1958, huile sur bois, 85 x 53,5 cm.