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ALKIS BOUTLIS,
BALZAC AU NOIR
Partisan d’une peinture littéraire
sacrifiant l’unité des apparences
à une vérité partagée avec les
tenants du romantisme noir, le Grec
Alkis Boutlis montre ses paysages
désolés et ses figures aux traits
fragmentées dans la dernière
demeure de Balzac. De l’auteur
de
La Comédie humaine
, le peintre
de quarante ans a donc retenu les
écrits mystiques, avec lesquels il a
correspondu dans son art sur une
voie de reflets et d’effroi.
Balzac, qui déclarait expressément que ses
romans ne sont autres que des tableaux,
peut compter sur la faveur des artistes. Il
y a bien sûr son
Monument
modelé par
Rodin – qui après six ans de labeur et
d’études vit sa commande annulée devant
le scandale suscité. Autre grand moment :
en 1927, Picasso se voit chargé par Amboise
Vollard d’illustrer une réédition spéciale
de sa nouvelle
Le Chef-d’œuvre inconnu
,
décrivant l’illumination et la perte d’un
vieux maître dans les visions de sa pein-
ture, dont s’empareront plus tard Pol Bury
et Pierre Alechinsky. D’
Une passion dans le
désert
, les livres illustrés de Guyot et Paul
Jouve laisse lameilleure part au désert, mais
ce sont surtout les treize tableaux narra-
tifs et collectifs de Gilles Aillaud, Eduardo
Arroyo et Antonio Recalcati réalisés en
1964 qui expriment la grandeur humaine
du projet du prolifique écrivain. Et peu
avant sa mort en 2009, Louise Bourgeois
projetait d’exposer dans l’intimité des lieux
son travail de broderie tissant mémoire et
«motivations infantiles » en hommage à
Eugénie Grandet, personnage du roman
éponyme dans laquelle la créatrice des
Maison-maman
voyait un alter ego de son
enfance, «le prototype d’une femme qui ne
s’est pas encore réalisée.»
Dans cette pléiade de relectures fascinées,
le cas d’Alkis Boutlis se démarque par le
corpus qui a attisé son intérêt. « Ce n’est
qu’après avoir découvert la maison de
Balzac en 2015 qu’Alkis Boutlis qui, selon
ses propres termes, “connaissait Balzac
sans le connaître” décide d’approfondir
de
La Comédie humaine
et qu’il prend
soudain conscience de la richesse comme
de la beauté de monument », explique
Yves Gagneux. « Il se captive pour
La Peau
de chagrin
et
Le Chef-d’œuvre inconnu
mais, surtout, pour
Le Livre mystique
».
À sa lecture,
Louis Lambert
et
Séraphita
le requière largement, tout comme
Jésus-
Christ en Flandres
et même le manuscrit
de jeunesse de
Falthurne
, laissé ina-
chevé – dont Balzac écrit qu’il est « l’es-
quisse » du « tableau »,
Séraphita
. Dans
ceux-là, le peintre natif de Thessalonique
trouve des correspondances ténues avec
sa propre réflexion, notamment nourri
par la méditation de l’art des icônes,
passage entre le monde matériel et l’invi-
sible. Chez Balzac, l’écrivain doit comme
l’artiste se faire visionnaire : « Je me trou-
vais, comme sur la limite des illusions
et de la réalité, pris dans les pièges de
Louis Lambert dans le désert.
2017, huile sur toile, 30 x 25 cm.
Courtesy de l’artiste
et galerie Suzanne Tarasiève, Paris.