Art Absolument 83 - mai/ juin 2018 - Aperçu - page 20

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Il y a quelques années, le visiteur de la Tate
Modern, à Londres, qui pénétrait dans le secteur
des collections permanentes y découvrait, dès
la première salle, un accrochage d’une excep-
tionnelle puissance. Quatre artistes s’y faisaient
face, deux à deux : Monet, Pollock, Mitchell,
Rothko. Éblouissant. La fortune critique du
peintre des
Nymphéas
est riche d’une filiation
qui en fait l’un des artistes de la modernité le
plus présent. Si, dès le début du XX
e
siècle,
Kandinsky s’en réclame pour la découverte qu’il
fait face aux
Meules
de ce que « l’objet nuisait à
[sa] peinture», Malevitch voit dans l’auteur des
Cathédrales de Rouen
un artiste qui «plante de la
peinture» et se sert de son motif comme d’une
plate-bande, semant « la peinture de manière
à ce que l’objet disparaisse». À les écouter, on
serait enclin à penser que Claude Monet est la
figure tutélaire de l’abstraction, d’autant plus
quand on mesure l’influence que le peintre de
Giverny a exercée sur les Américains à l’orée
de la seconde moitié de ce siècle. L’affirmer
serait faire fi de ce qui fonde celle-ci, à savoir
l’abandon du sujet ; le réfuter serait nier l’apport
considérable du peintre à la prise de conscience
d’un possible pictural qui l’absorbe.
MUSÉE DE L’ORANGERIE
Monet, les
Nymphéas
et les Américains
une abstraction incarnée
Aussi Alfred Barr, le premier directeur du
Museum of Modern Art de New York, œuvre-t-
il en pionnier, en 1955, quand il fait entrer un
grand panneau des
Nymphéas
de Monet dans
les collections du musée. Quatre ans plus tard,
quand le critique d’art John Canaday repro-
duit le tableau de Monet, dans son ouvrage
Mainstreams of Modern Art
, vis-à-vis de celui
de Pollock,
Autumn Rythm (number 30)
, il ne fait
que participer à toute une production critique
qui, dans les années 1950, portée notamment
par Clement Greenberg, William Seltz et Louis
Finkelstein, fait de Monet – le dernier Monet,
celui des
Grandes Décorations des Nymphéas
la figure pionnière d’une esthétique nouvelle.
De cette aventure prospective et plus parti-
culièrement de cette dynamique picturale
nourrie de l’exemple de Monet qu’a rele-
vée Finkelstein en 1956 dans son article
New Look : Abstract-Impressionnism
, Cécile
Debray, la directrice du musée de l’Orangerie,
s’est saisie pour marquer le centenaire des
Nymphéas
. Du moins de la décision du peintre,
dans une lettre à Clemenceau, le lendemain
de l’Armistice, d’offrir à la France deux pan-
neaux pour participer à la victoire – un don
Nymphéas. L’abstraction américaine et le dernier Monet
Musée de l’Orangerie, Paris. Du 13 avril au 20 août 2018
Commissariat : Cécile Debray assistée de Valérie Loth et de Sylphide de Daranyi
Claude Monet.
Le Pont japonais.
1918-24, huile sur toile, 73 x 100 cm.
Collection particulière, Paris.
Courtesy Blondeau & Cie, Genève.
Helen Frankenthaler.
Riverhead
.
1963, acrylique sur toile, 208,9 x 363,2 cm.
Helen Frankenthaler Foundation, New York.
PAR PHILIPPE PIGUET
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