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Dans le célèbre roman de l’an mil
Le Dit du Gengi
, entre les chapitres XVI
et XVII, Murasaki Shikibu fait disparaître dans les nuages le prince Gengi,
oblitérant son entrée en religion et sa mort prochaine. À l’instar du prince
japonais, le peintre algérien Benanteur n’a pas totalement disparu à la
fin de l’année 2017 mais, à l’image des élus qui cherchent à s’annihiler
en Dieu, sa peinture s’est fondue en lumière derrière les nuages. Comme
dans la mystique soufie, la vision douloureuse d’un monde de haute
pensée que ce solitaire n’a jamais cessé de peindre toute sa vie, du désert
au jardin, aspire au néant. De santé fragile, le jeune Abdallah a découvert
la peinture au lit (comme Matisse), tirant profit de ses lectures pensives
en les confrontant aux splendeurs de la nature
algérienne. Se liant d’amitié, à l’âge de quinze ans,
avec Mohammed Khadda, autodidacte et futur chef
de file de l’école des Peintres du Signe (à laquelle
Benanteur demeurera étranger), le jeune homme,
qui n’a pas encore pris le nomde Benanteur et s’ap-
pelle Ben Antar – comme le héros préislamique –,
va peindre en l’ardente compagnie de son ami dans
les environs de Mostaganem, au pied du Dahra, ce
massif calcaire tourmenté du Petit Atlas qui va
s’abîmant dans la mer. Peut-être parce que, comme
le remarquait Assia Djebar, «l’enfance finit trop tôt
dans les pays du soleil», Benanteur gardera toute
sa vie une infinie nostalgie de ses jeunes années.
L’influence du Pays-Paysage de Mostaganem se
révèlera décisive, dans son aspiration à «une sorte
de tension vers l’éternel» (Boudjedra).
Les parages du vide
En 1953, soit un an avant la Toussaint rouge lancée
par le FLN, qui marque le déclenchement de la
guerre d’Algérie, le jeune homme de 22 ans se
rend en France. Après son installation dans la
capitale, il sacrifie à l’abstraction lyrique de la
nouvelle école de Paris. À l’instar des grilles colo-
rées de Bissière ou de Bazaine, Benanteur enserre
des fragments d’écritures dans des arabesques
et des entrelacs aux jaunes éteints et aux bleus-
verts assourdis, tels «des poèmes qui se voient au
lieu de se sentir » (Bazaine). Cette non-figuration
poétique et colorée lui paraît alors rencontrer l’art
des poteries et des tapis de son pays d’origine.
« Le langage des lignes, des formes et des cou-
leurs s’adapte naturellement au sens intuitif des
Algériens, remarque-t-il. Un Maghrébin, quel qu’il
soit,
voit
abstrait.» En 1957, il réalise des aquarelles
toutes blanches et luminescentes sur lesquelles il
pose délicatement sa calligraphie colorée. Mais,
tout de suite après sa première exposition en
1958, Benanteur se détache de cet art informel
décidément trop impersonnel. Retrouvant l’ocre
des sables, des écorces et des rochers de son
enfance, il supprime toute forme identifiable,
efface le moindre signe compréhensible et réduit
sa palette à une gamme restreinte. Entre 1958 et
Benanteur
Musée de l’Hospice Saint-Roch, Issoudun
Du 9 juin au 9 septembre 2018
Pâturage de lumière.
1985, triptyque, huile sur toile, 81 x 180 cm.
Collection Claude et France Lemand, Paris.