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La première d’entre elles, mandatée par la
DATAR (Délégation à l’Aménagement du
territoire et à l’Action régionale) à partir
de 1984, fait aujourd’hui référence. Dès son
lancement, son originalité tient à sa double
vocation. À destination des aménageurs
et du grand public, les photographes se
voient chargés de « recréer une culture
du paysage », mais un enjeu concomitant
concerne le médium lui-même : entrant
en concurrence avec le photojournalisme,
hégémonique depuis l’après-guerre, une
pratique plus lente et conceptuelle reprend
le pas et remet au centre le statut d’artiste
des photographes. Pour autant, lorsque
parmi les quelque vingt-neuf participants,
le déjà célèbre Robert Doisneau, Tom
Drahos – alors photographe amateur –,
Lewis Baltz ou Sophie Ristelhueber choi-
sissent leur «terrain», le résultat dénote de
l’antécédent historique initié par Prosper
Mérimée en 1851, laMission héliographique,
première commande du genre par l’État
français. Loin du pittoresque guidant alors
Baldus ou Le Gray dans leur inventaire de
l’état des monuments historiques, les
années 1980 introduisent comme sujets les
«non-lieux» qui occupent une grande part
des espaces périurbains, à côté des vues de
PALIMPSESTES
DU PAYSAGE
À LA BnF
campagne ou du littoral. De nombreuses
missions emboîtent le pas à ce jalon,
dont les accomplissements rentrent dans
l’ample corpus visible à la BnF : celles du
Conservatoire du littoral, entamée en 1985,
et de l’Observatoire photographique natio-
nal du paysage, à partir de 1991, résonnent
avec l’ensemble des mesures de protection
de la nature prises depuis les années 1970,
qui voient progressivement le paysage
entrer dans le champ du patrimoine. Des
collectifs en viennent à s’engager en dehors
de toute commande dans cette aventure–
France14 ou France(s) Territoire Liquide– et
certains photographes finissent par en faire
leur sujet exclusif, confirmant l’orientation
insufflée par la DATAR. L’un des plus emblé-
matiques reste Thibaut Cuisset, dont les
campagnes l’ont mené à préciser par l’image
la part de chaque élément participant du
paysage, depuis le bâti jusqu’aux cultures,
en passant les flux humains ou la géologie.
Si Cuisset, tout comme Stéphane Couturier
et ses vues frontales, préfère décrire que
narrer, l’écriture photographique de ces
dernières s’attache également au paysage
comme moteur de récits. La photographie
paysagère s’ouvre ainsi à un espace de fic-
tion, relevant du polar social chez Marion
Gambin ou du virtuel avec Thibault Brunet.
En posant le paysage comme un décor, ces
jeunes photographes ne manquent pas
d’en rendre explicite sa part structurante :
arpenté par les «marrons » que vient faire
poser Laura Henno à la Réunion, ou soumis
aux souvenirs de personnes âgées par
Laurent Kronental dans une série sur la dys-
topie des grands ensembles de la banlieue
parisienne, le paysage en vient à raconter les
mutations profondes de la France contem-
poraine.
WT
Comment rendre compte de la
diversité et des mutations des pay-
sages français? En piochant dans
la collection photographique de la
Bibliothèque nationale de France,
les commissaires de cette exposi-
tion fleuve rassemblant plus d’un
millier d’images du territoire prises
par 160 auteurs font le bilan de plus
de trente années d’une passion
française : représenter le paysage
et s’y projeter, notamment grâce
aux missions photographiques.
Paysages français. Une aventure photographique 1984-2017
.
Bibliothèque nationale de France, Paris. Du 24 octobre 2017 au 4 février 2018
Laurent Kronental
Joseph, 88 ans,
Les Espaces d’Abraxas,
Noisy-le-Grand
,
série «Souvenir d’un Futur»
2014.
Jürgen Nefzger.
Centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (Aube),
série «Fluffy Clouds».
2003. Département Estampes et photographie, BnF, Paris. Courtesy galerie Françoise Paviot, Paris.
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