Art Asolument 81- Février 2018 - Aperçu - page 22

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Arrivée à Paris de sa Hongrie natale en 1950 – après huit
tentatives –, Judit Reigl ne fera partie d’aucun mouvement.
À la place, elle préfèrera frôler les grandes orientations artis-
tiques d’après-guerre – surréalisme « tardif », abstraction ges-
tuelle… – pour en digérer l’essentiel puis se retirer l’instant
d’après. Comme l’ont noté ses regardeurs les plus attentifs,
l’œuvre de Judit Reigl s’en distingue radicalement par la
primauté donnée au geste sur le signe, où la « jouissance »
du corps peignant subsiste en s’incarnant dans le « corps du
tableau » (Marcelin Pleynet). Dans les années 1980, l’artiste
l’explicite à nouveau : « Le corps est à la fois le plus parfait
instrument et le plus tragique obstacle. » D’un corps à l’autre
donc, à l’image du voile de Véronique, depuis le travail des
Guano
à partir des restes de sa peinture gestuelle à l’orée des
années 1960 jusqu’aux figures entre apesanteur et chute que
lui inspire le 11 septembre 2001. Une présentation est en pré-
paration au musée d’Art moderne de la Ville de Paris courant
2018, qui viendra combler la méconnaissance de son œuvre
en France – sa dernière exposition muséale d’envergure date
de 2009 à Nantes –, tandis que plusieurs initiatives récentes
ont tenté de remédier à cet écueil, dont l’attribution du Prix
d’honneur AWARE pour les artistes femmes en 2017 ou un
parcours réunissant cinq galeries parisiennes (Le Minotaure,
Alain Le Gaillard, Galerie de France, Antoine Laurentin et Anne
de Villepoix) en mars 2016.
> ENTRETIEN AVEC CHRIS CYRILLE
Le «feu vivant»
JUDIT
REIGL
CHRIS CYRILLE |
Vous êtes partie de Hongrie en 1950. Après plusieurs tentatives
et étapes – Autriche, Munich, Bruxelles –, vous décidez de vous arrêter à Paris.
Très vite, vous exposez à la galerie de l’Étoile scellée. Quel rapport entreteniez-
vous avec le surréalisme ?
JUDIT REIGL |
J’ai toujours été libre. Même lorsque j’accompagnais les surréalistes,
j’étais là en
outsider
. Mais j’ai beaucoup appris en venant à Paris, car la Hongrie
était nettement en retard du point de vue de l’art. La rencontre la plus importante,
c’est celle avec André Breton [son compatriote Simon Hantaï les présente l’un à
l’autre peu avant l’exposition de 1954 préfacée par Breton, ndlr] : c’était un homme
formidable avec une âme maternelle, une véritable chaleur. C’était très beau et
cela, peu de personnes le savent. Je crois cependant qu’il avait une faiblesse, il était
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