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Le nez en aubergine, l’oreille en épi de maïs et
le sourire fait de petits pois : à force de cher-
cher le naturel derrière l’anthropomorphe, on
se contente le plus souvent d’assimiler l’art de
Giuseppe Arcimboldo à un simple jeu de l’œil de
lynx. Portraitiste à la fois classique et fantas-
tique tout autant que metteur en scène ébou-
riffant ou philosophe mélancolique – comme il
se présente dans son
Autoportrait
en homme de
lettres de 1587 –, Arcimboldo demeure pourtant
le «Léonard de Vinci » des Habsbourg, celui qui
annonce un véritable malaise dans la civilisa-
tion. Si le Milanais a bien été formé comme
peintre dans l’atelier de son père – et s’il a réa-
lisé avec lui des cartons de vitraux, dans le style
maniériste, pour la cathédrale de sa ville –, il se
veut avant tout poète, savant et philosophe – tout
comme Léonard de Vinci. L’influence du maître
florentin – qui a vécu à Milan, au service de
Ludovic le More, entre 1482 et 1499 – s’exerce de
manière posthume sur le jeune homme, via les
carnets et dessins qu’il a laissés à Bernardino
Luini et à son fils, que fréquente la famille
Arcimboldo. Alors que les artistes du milieu
milanais, tel Francesco Melzi, se contentent de
copier les caricatures difformes de Léonard,
Giuseppe préfère s’inspirer de ses caprices
informes. Il retient surtout la leçon que l’on
peut créer des êtres fantastiques à partir d’élé-
ments présents dans la nature. Vasari racontait
déjà : « Dans une pièce, Léonard rassemblait
lézards, tritons, criquets, asticots, serpents,
chauves-souris et autres animaux étranges.
En combinant toute cette multitude, il en tirait
un petit monstre horrible et épouvantable. »
Nommé portraitiste de cour par Ferdinand
I
er
de Habsbourg, frère de Charles Quint – qui
l’accueille à Vienne «avec tous les honneurs et
le traite avec beaucoup d’affection» –, il exécute
pour lui différentes figures de la famille impé-
riale (dont d’hypnotiques portraits, dignes de
Bronzino, de l’archiduchesse Anna). À la mort
de l’empereur, son fils Maximilien II dit l’aimer
à son tour «pour ses talents et l’élévation de son
âme». Adaptant son propre goût à celui de cet
esprit inventif, le (saint) empereur des Romains
(germaniques) se réfère tout entier à son juge-
ment, demandant même à pouvoir le voir à toute
heure du jour et de la nuit. Superbe et généreux,
Maximilien confie à son
buffone aristocratico
le
soin de le conseiller dans ses achats d’œuvres
d’art, d’ordonner ses fêtes splendides, d’organi-
ser ses défilés triomphaux (avec des éléphants
ou des chevaux déguisés en dragons), d’inven-
ter des jeux d’eau et de mettre en scène de
somptueux tournois. Rodolphe II, qui succède à
Maximilien, attire Arcimboldo dans son encyclo-
pédique cabinet de curiosités à Prague, la nou-
velle résidence impériale, où se côtoient joyaux
Lavinia Fontana.
Portrait d’Antonietta Gonzalez.
Vers 1595, huile sur toile, 57 x 46 cm.
Musée du Château de Blois, Blois.