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page
26
(
artabsolument
)
no 7 • hiver 2004
Il est dans le travail récent de Gérard Titus-Carmel
comme une tentation de la démesure qui se joue en
tentative de construction de l’œuvre absolue.
La Grande
Feuillée
se bâtit sur cet idéal toujours déçu de ne pou-
voir donner à la vision du peintre, une possible unité.
À l’origine est la déconstruction de l’image, et si
chaque pièce est ce travail qui consiste à recoller les
morceaux sur les ruines de la représentation, elle se
réalise dans l’inachèvement de la tâche, chaque pièce
composant ensuite la série au cours de laquelle le
motif se décline comme à l’infini… sans cesse rejoué,
ce rythme des séries s’enroule en lui-même comme
les saisons toujours reprises de l’œuvre qui se déroule
au fil du temps narratif de la vie du peintre.
Depuis les
Memento mori,
encore conçus dans l’esprit
de ces séries, à la composition de
La Grande Feuillée,
elle-même construite en juxtaposition d’éléments dis-
parates mais qui se présente comme un véritable “mur
de peinture”, un seuil me semble être ici franchi : celui
d’une mise à l’œuvre de cette fulgurance du désir de
totalité par la mise à l’épreuve de l’œuvre dans l’effet
d’une inquiétude fondatrice. Car ce qui se vit ici, dans la
tension de cette fragmentation, de cette séparation ori-
ginelle, de cette disjonction non seulement employée
comme une technique mais aussi agie comme le pro-
cessus même de création, est l’âpre définition d’un
temps et d’un espace autre pour la peinture : l’espace
d’avant toute représentation, l’instant d’avant toute
temporalité, l’image d’avant toute unité.
La baie était prise d’une convulsion gris argenté, la
tempête avait transformé le paysage en une image de
catastrophe, les chaises s’envolaient, les bateaux
s’échouaient, les vagues inondaient la route, tout au
bout du ponton, un homme en ciré jaune tentait de
tenir debout, on dit que le vent d’autan rend fou…
Et si l’image avait la beauté d’une catastrophe, jamais
une, impossible à saisir en totalité, toujours sur le point
de se défaire, les morceaux y menaçant sans cesse de
se désunir avant même d’avoir existé ensemble et qui,
avant de disparaître, se juxtaposeraient à nouveau en
une si fragile apparition, à peine la trace d’une pensée,
tentant ainsi de ressaisir ce qui dans le visible toujours
se dessaisit ou l’extrême épuisement d’un souffle qui
s’évertuerait à faire craquer les coutures de l’être par
l’effet d’une séparation douloureuse car incisive.
La Grande Feuillée
est composée de treize pièces pré-
sentées bord à bord. Monumentale, parfaitement équili-
brée, elle contient, en un mur de couleurs assemblées,
toute la menace de ses débordements supposés…
De grandes feuillées ainsi se dressent en une trou-
blante opacité immémoriale se souvenant de l’instant
d’avant, l’instant d’avant l’effondrement, l’instant
Des
Vanités
aux grandes compositions végétales, les dernières œuvres de Gérard Titus-Carmel
se confrontent à la mort, à la déréliction et à la fragmentation au bénéfice d’une nouvelle unité.
D’unnouveaucorps.D’unenouvellevision.De l’art de lapeinturecomme
traverséedesapparences
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Peinture
Gérard Titus-Carmel,
l’inquiétude mise à l’œuvre
Par Évelyne Artaud
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