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          entretien
        
        
          |
        
        
          exposition
        
        
          |
        
        
          peinture
        
        
          |
        
        
          photographie
        
        
          |
        
        
          ailleurs
        
        
          | film |
        
        
          note d’atelier
        
        
          |
        
        
          domaine public
        
        
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          artabsolument
        
        
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          no 7    •    hiver 2004    page
        
        
          
            57
          
        
        
          
            Une mémoire étouffée
          
        
        
          Le film
        
        
          S21
        
        
          s’ouvre sur un panoramique qui
        
        
          montre les toits de Phnom Penh. Une atmo-
        
        
          sphère pesante s’abat sur la capitale du
        
        
          Cambodge d’aujourd’hui. Le malaise s’accen-
        
        
          tue lorsqu’on entend le sifflement du lâcher
        
        
          de bombes. Rithy Panh inaugure son film en
        
        
          reprenant les images d’archives qui présen-
        
        
          taient, dans un panoramique inversé, les rues
        
        
          désertes après la prise du pouvoir des
        
        
          Khmers rouges, le 17 avril 1975. Hier comme
        
        
          aujourd’hui, Phnom Penh est une ville fan-
        
        
          tôme. Le cinéaste clôt son récit filmique par
        
        
          un étrange plan fixe : dans l’une des salles
        
        
          vides de la prison S21, un vent pénètre et
        
        
          balaie la poussière, comme si les spectres
        
        
          des déportés hantaient toujours les lieux.
        
        
          Entre la première et la dernière image, entre
        
        
          passé et présent, la vacuité est à la mesure de
        
        
          la mémoire trouée des Cambodgiens : deux
        
        
          millions de morts font face au déni toujours
        
        
          virulent des principaux responsables du
        
        
          génocide qui vivent aujourd’hui encore dans
        
        
          l’impunité. L’oubli se ligue avec l’amnésie col-
        
        
          lective dès lors que le régime de Pol Pot n’est
        
        
          pas au programme des manuels d’histoire. Le
        
        
          mutisme des victimes est renforcé par la
        
        
          complicité silencieuse de la “realpolitik”
        
        
          européenne et mondiale, toutes les réfé-
        
        
          rences au génocide commis entre 1975 et
        
        
          1979 étant biffées des accords de paix signés
        
        
          à Paris en 1991 ! La parole a longtemps été
        
        
          impossible et l’oubli d’autant plus intolérable.
        
        
          Seul, cet entre-deux douloureux, hanté, se
        
        
          transmet. La
        
        
          spectralité
        
        
          est nouée à la ques-
        
        
          tion de l’héritage. C’est pourquoi l’œuvre
        
        
          cinématographique de Rithy Panh apparaît
        
        
          indispensable face à une mémoire “frustrée”,
        
        
          emmurée dans une négation où l’horreur ne
        
        
          peut trouver nulle symbolisation. Il s’agit de
        
        
          traduire cet héritage dans la langue des
        
        
          vivants pour pouvoir se réinscrire dans la vie
        
        
          d’après la rupture et l’effondrement.
        
        
          Le travail du cinéaste autour de la prison S21
        
        
          a commencé en 1991, alors qu’il préparait son
        
        
          documentaire
        
        
          Cambodge, entre guerre et paix
        
        
          ,
        
        
          grâce à sa rencontre avec Vann Nath. Ce der-
        
        
          nier était l’un des sept survivants du S21, sauvé
        
        
          par son talent de peintre et utilisé comme por-
        
        
          traitiste de Pol Pot. En 1994, pour son film
        
        
          Bophana, une tragédie cambodgienne
        
        
          , Rithy
        
        
          Panh avait demandé à Nath de peindre des
        
        
          tableaux témoignant de son histoire. Par un
        
        
          hasard inouï, lors du tournage, Nath ren-
        
        
          contre Houy, son ancien tortionnaire.
        
        
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