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juin 2008
numéro 25
revient ainsi, avec ses
Expressions-Bidonville
, même
si ces dernières répondent aux caractéristiques des
assemblages développés par Schwitters entre 1919 et
1923, à ce qu’il avait connu dans son enfance, c’est-
à-dire les façades de bidonvilles. Mais le mouve-
ment pictural n’aura jamais la même aura, la même
audience que le mouvement littéraire.
Lamême année, à laMartinique, le groupeFwomaje initie
le projet de promouvoir une esthétique caribéenne, deux
décennies avant l’essai
Éloge de la créolité
(1989) de Jean
Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant.
Lorsqu’il apparaît, le mouvement littéraire de la créo-
lité se positionne comme un refus de la négritude et
du combat politique d’Aimé Césaire. Cependant, il
n’est pas pertinent de les opposer. “La créolité est
l’agrégat interactionnel ou transactionnel des élé-
ments culturels caraïbes, européens, africains, asia-
tiques et levantins que le joug de l’histoire a réunis
sur le même sol
8
” et préconise donc un enracinement
dans toutes les cultures qui ont fusionné pour créer la
réalité martiniquaise d’aujourd’hui. L’exploration et la
restitution des signes amérindiens par Victor Anicet,
l’un des fondateurs du groupe Fwomaje, restent
exemplaires, de mon point de vue, si l’on considère le
projet programmatique de Fwomaje.
Édouard Glissant récuse le clos, le définitif, dénonce
l’impasse des “identités-racines et privilégie le concept
de créolisation, c’est-à-dire un processus inarrêtable
qui mêle la matière du monde, qui conjoint et change
les cultures des humanités d’aujourd’hui. La créolisa-
tion maintenant en marche, non plus uniquement aux
Antilles mais dans le monde entier, c’est le change-
ment dans l’échange, c’est un processus d’interaction
et d’hybridation de traits culturels déterritorialisés
9
”.
L’écrivain propose ainsi une grille de lecture des trans-
formations des sociétés métisses contemporaines.
Alors, à la lumière de cette succincte évocation his-
torique et théorique, quelle grille d’analyse appliquer
à l’art d’aujourd’hui de ces départements français
d’Amérique, de “cet archipel arqué comme le désir
inquiet de se nier
10
” ? Être plasticien aujourd’hui dans
une région ultramarine considérée comme périphéri-
que, ancienne colonie, plus ignorée qu’isolée des capi-
tales artistiques, et où manquent “lieux et milieux
11
”,
qu’est-ce que cela implique et signifie? Comment
s’articulent les pratiques au regard des concepts de
la négritude et du Tout-Monde?
Plus d’école picturale ni de groupe aujourd’hui. Les
plasticiens de la jeune génération, Jean-François
Boclé, Bertrand Grosol comme ceux déjà bien enga-
gés dans la création, Ernest Breleur, Alex Burke,
Valérie John, adoptent une posture contemporaine et
ne “se situent plus dans la recherche d’un arrière-
pays comme la génération précédente des Fwomaje
mais cherchent à exprimer la réalité historique et
politique de l’île
12
”.
“Je rapièce, je recompose et répare, explique Valérie
John. Pourquoi rapiécer? Pour recouvrir une cassure,
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