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juin 2008
numéro 25
D’un fil sans aiguille
Je tire le fil, c’est ce qui me vient maintenant à l’esprit
en pensant à François Righi et en le suivant dans le
cours de son ouvrage, qui est fait, qui se fait justement
de ce fil ininterrompu, fil d’Ariane si l’on veut, qui lui
permet en se perdant de se retrouver par la rencontre
au cœur des œuvres, rencontre en intelligence avec
le mystère qu’elles contiennent et qui les constitue.
Et c’est par ce fil intellectuel qu’il en extrait les figures qui
loin d’en être des réductions s’offrent à lire comme
emblèmes. Que nul n’entre ici
s’il n’est géomètre, a-t-on dit ;
et j’ajouterais : à moins qu’il ne
se propose de trouver “le vin des
cavernes”, de redécouvrir le sen-
tier de l’ivresse née de l’attention
extrême portée sur telle ou telle
séquence du poème universel et de
son illustration ou mise en lumière
qu’ont opérée des personnages
tenus au secret, dans les diverses
acceptions de l’expression.
C’est quelque chose, comme
on dit, de consacrer une vie à la
fructification silencieuse du livre,
feuilleté marqué de signes qui
ne sont pas pour autant des clés
permettant le passage. Le cor-
beau perché au haut de l’arbre,
le paon blanc, le paon ocellé ne
s’exposent pas comme un défi
au hasard mais bien comme des
messagers que Nature et Raison entretiennent
pour que nous ne soyons pas définitivement réduits
à la ration congrue. C’est avec la pertinacité d’un Fils
de laVoiequ’il tire le fil – inépuisable, semble-t-il –dont
se tisse sans fin le tissu qui constitue le texte muet,
et induit l’attention nécessaire à la lecture. C’est par le
fil plutôt que par le trait que se signale le parcours de
lecture dumonde dans les ouvrages de François Righi,
et je ne puis, disant cela, que resonger à l’élaboration
et exposition des figures par lesquelles il répondait
à celles du plafond de l’oratoire de l’hôtel Lallemant,
figures qui pendant un temps restèrent en suspens
sur la face cachée dudit plafond, signes et signaux en
vue d’attirer le regard sur ce qui ornait l’autre face
et réclamait que chacun s’y arrêtât dans un acte de
super-stition ou supérieure attention dans la station.
Admirable en nos temps d’impatience d’être arrêté
par la patience de quelqu’un qui, malgré la presse,
suspend sa geste à l’extraction de ce très fragile fil qui
un temps alla des mains d’Ariane à celles de Thésée,
fil qui permit à celui-ci de sortir victorieux des Enfers,
de tuer le minotaure, soit le taureau lunaire et lunati-
que, ensuite d’introduire Œdipe parmi les immortels.
C’est parce que cet homme qu’est François Righi est
lecteur de livres muets qu’il a acquis par l’apprentis-
sage, le métier et l’art, la possibilité de nous rendre
sensible le fil de la parole. On peut encore considé-
rer l’ouvrage qui ainsi se constitue comme jeu de
patience, mais alors tout à fait à l’inverse de ce que
suggère le mot
puzzle
où l’on voit bien que les deux z
sont là pour agacer les nerfs du patient.
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Carton d’invitation de l’exposition
L’univers à l’aune Lallemant
(novembre 2004 – février 2005).
Cette mimétique d’un ordre mystérieux
est un masque, mais pas un leurre.
Masque qui s’identifie au visage assumé
comme tel du mystère lui-même.