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numéro 25
juin 2008
ARTABSOLUMENT|
Quepensez-vousdumanquedevisibilitédes
artistes de l’outre-mer dans l’Hexagone alors que
certains d’entre eux sont reconnus et talentueux?
YVES JÉGO |
La France, depuis toujours éprise des arts et
des lettres, semble méconnaître les artistes de ces
nombreux ateliers vivants, bouillonnants, situés à la
croisée des mondes que sont les outre-mers français.
J’ai quelques hypothèses à ce propos.
D’abord, je crois que s’exprime dans cette mécon-
naissance la sourde angoisse de notre pays face à la
mondialisation, au cœur de laquelle nous plongent le
maelström des Antilles, le creuset réunionnais et la
coexistence océanienne.
Ensuite, il se joue sans doute une forme de méprise
liée à l’importance des outre-mers dans l’aventure
artistique de la modernité, comme si les représen-
tations mentales étaient restées dominées par les
tableaux de Matisse ou de Gauguin. Souvenez-vous
du succès rencontré par l’exposition
Gauguin-Tahiti.
L’atelier des tropiques
, présentée au Grand Palais il y
a quatre ans. Cette rencontre de la tradition picturale
occidentale et de l’imaginaire maori, visible dans des
œuvres aussi sublimes que
La Onaria Maria
par exem-
ple, a peut-être figé l’imaginaire métropolitain dans
la quête d’un exotisme dépassé. Or, les artistes ultra-
marins sont en prise avec le monde actuel et leurs
œuvres dialoguent avec celles des créateurs contem-
porains, aux États-Unis ou en Europe notamment.
Un troisième écueil tient à la nécessité de surmonter
la distance et l’effet paradoxal de la notoriété de cer-
tains de leurs aînés qui laissent peu de place pour la
visibilité des jeunes créateurs.
AA |
Quels sont les axes de développement culturels
nécessaires à l’épanouissement de l’art de l’outre-mer?
YJ |
En matière de développement culturel, le secréta-
riat d’État à l’outre-mer s’investit dans la promotion
des artistes ultramarins. L’enjeu, c’est une meilleure
inscription des artistes ultramarins dans les circuits
nationaux de diffusion, c’est le soutien à des initiati-
ves qui assure une participation à des manifestations
culturelles nationales. Prenons le festival du cinéma
à Cannes : le SEOM soutient le prix Hohoa qui récom-
pense des jeunes scénaristes ultramarins et les
accompagne dans la réalisation de longs-métrages.
En province, de grandes initiatives se sont multipliées
ces dernières années, je pense en particulier au festival
des arts de la Caraïbe, du Pacifique et de l’océan Indien,
LaMangrove
, organisé tous les ans àMarseille et Aix-en-
Provence. Littérature, musique, cinéma, arts plastiques,
tous les genres artistiques sont mis à l’honneur.
J’ai une conviction : la métropole est en train de pren-
dre la mesure de l’extraordinaire richesse culturelle
des outre-mers. L’émotion suscitée par la disparition
d’Aimé Césaire a montré combien l’âme française est
imprégnée par lesmots, les couleurs et les imaginaires
des outre-mers. Les conditions politiques et histori-
ques sont réunies pour cette nouvelle relation entre la
France et ses outre-mers. Nous sommes entrés dans
le moment postcolonial. La mémoire de l’esclavage,
avec la journée nationale du 10 mai, est l’indication
que chacun accepte de regarder l’histoire sans occul-
tation ni enfermement dans le passé douloureux, pour
se tourner vers l’avenir. Et 2009 marquera un tournant
avec l’ambitieux projet de festival tout au long de l’an-
née, intitulé
Les Îles et leurs mondes
, organisé par l’éta-
blissement public de la Villette à Paris. Surtout, je vois
dans ce festival le signe que l’horizon des artistes des
outre-mers français est mondial.
Une politique de développement culturel ne signi-
fie pas se substituer au marché, mais favoriser les
échanges et attiser le désir.
Secrétaire d’État chargé de l’outre-mer
Entretien avec Yves Jégo
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Ultramarine
« L’âme française
est imprégnée par
les mots, les couleurs
et les imaginaires
des outre-mers »
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