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juin 2008
numéro 25
Lorsque l’on s’intéresse un tant soit peu à la musique
des Caraïbes, les noms de Zouk Machine, de Malavoi
ou de Kassav résonnent à nos oreilles ; lorsque l’on
s’intéresse un tant soit peu à la pensée, à la littérature
ou à la poésie, ceux d’Aimé Césaire – le premier
théoricien de la “négritude” –, d’Édouard Glissant,
l’un des écrivains mondiaux les plus importants de sa
génération (il faut absolument lire le
Traité du Tout-
Monde
: c’est stupéfiant d’intelligence et de novation
de la langue française), de Patrick Chamoiseau
(prix Goncourt 2002 avec l’inénarrable
Texaco
) ou de
Raphaël Confiant viennent immédiatement à l’esprit.
Lorsque l’on s’intéresse à l’art contemporain, y
compris de très près, aucun nom propre, aucune
œuvre n’apparaissent spontanément à nos yeux : la
méconnaissance (l’aveuglement ?) est totale.
D’aucuns soutiennent que c’est logique puisqu’il n’y a
pas d’artistes contemporains de niveau international
en Martinique (remarquez que ce sont les mêmes
qui, il y a peu, ont dénié ce statut aux artistes russes,
chinois, indiens ou arabes…). L’Hexagone des arts
plastiques semble étonnamment clos, crispé sur lui-
même. Rien de nouveau sous le soleil.
Art Absolument
, qui se targue d’être une revue
soutenant la diversité de l’art, et en particulier
les artistes en France, a pris la décision de rendre
compte de la réalité de la situation des artistes
plasticiens des régions ultramarines : nous sommes
allés à la Martinique et force a été de constater
que, pareillement à ce qui se crée de novateur en
musique ou en littérature, les artistes étaient en
pleine effervescence, et que ce que nous pensions
être de la méconnaissance (toujours préjudiciable
mais à laquelle on peut porter remède) ressemblait
à s’y méprendre à de l’occultation (trop systématique
pour ne pas être volontaire).
Pour prendre un exemple qui, pour nous, fait
malheureusement “figure” de symptôme : afin de
célébrer l’anniversaire de la commémoration de
l’abolition de l’esclavage (décidée par Jacques Chirac
le 10 mai 2006), une œuvre sculpturale sans grand
intérêt, illustrative, voire superficielle, de l’artiste
post-dadaïste Fabrice Hyber a été commandée et
inaugurée le 10 mai 2007 au jardin du Luxembourg
à Paris (ce n’est pas l’artiste que nous critiquons, ce
sont les “décideurs” qui n’ont pas pris la peine de
s’informer sur les œuvres d’Ernest Breleur, de Julie
Bessard, de Valérie John, d’Hervé Beuze, de Jean-
François Boclé, etc., qui rendent compte – elles, en
profondeur – de ce crime contre l’humanité).
Les temps changent. Ils doivent impérativement
changer. Pour notre part, nous ne supportons plus
le déni des autres France qui prévaut dans le (tout
petit) noyau dur du milieu de l’art hexagonal : en
l’occurrence l’exclusion de toute une communauté
de créateurs contraints à la non-visibilité dans son
propre pays – ou du moins dans celui qui affirme être
le sien ! Il est urgent que tout un chacun le comprenne
non seulement en paroles mais en actes. Il est urgent
que la France de l’art s’ouvre à la pluralité des
horizons qui la constituent – qu’elle “respire”.
D’où ce dossier sur les artistes de la Martinique qui,
espérons-le, avec l’aide de quelques autres initiatives
majeures, contribuera à ce que cetteméconnaissance
(ou cette occultation?) ne soit plus – un jour – qu’un
lointain souvenir…
Pascal Amel, Teddy Tibi
>
Éditorial
méconnaissance
ou
occultation
?
Nous dédions ce numéro à la mémoire d’Aimé Césaire. Par ailleurs, nous tenons à remercier François-Xavier
Bieuville, conseiller au secrétariat d’État chargé de l’outre-mer, Dominique Brebion, conseiller pour les arts
plastiques et les musées de la DRAC Martinique, et Florent Plasse de la fondation Clément pour leur soutien actif
quant à la constitution de ce dossier.
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