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page 38 (artabsolument) no 13 • été 2005
Esthète et mystique, figure du Maniérisme et premier Moderne : portrait intérieur de l’un
des peintres les plus singuliers et les plus absolus de l’histoire de l’art.
Texte
Le Greco,
ou le corps glorieux de la peinture
Par Pascal Amel
Déjà, à Héraklion, où il est né, dans l’île des dieux où se
conjuguent la Gr èce et l ’Orient, au sein de l ’atelier
d’icônes byzantines qu’infléchit le style plus libre de
l’Occident (la Crête dépend alors de Venise et est consi-
dérée comme le dernier bastion de la chrétienté face à
la progression des Turcs), pendant la décennie où il fait
d’abord l’apprenti avant de devenir Maître Domenikos
Theotocopoulos, tandis que, au sein des monastères et
des absides obscures, luisent hiératiquement les pan-
neaux de bois de la Divinité sur leur fond d’or – ce n’est
pas cela, non, ce n’est pas la tr adition, la répétition du
même, c e ne sont pas l es figur es figées, c omme
“mortes”, qui donnent à voir la preuve formelle de l’exis-
tence de Dieu, ce n’est pas assez vif, pas assez dyna-
mique, pas assez fluide, pas assez véridique… Déjà, à
Héraklion, où il s’afflige, il songe des heures durant à
saint Luc, l’un des quatre Évangélistes dont les Pères de
l’Église affirment qu’il fut non seulement peintre mais
qu’il fit le portrait de la Vierge et de l’Enfant – et qu’est-
ce, au juste, une Peinture qui parvient à capter et à res-
tituer la grâce (il est profondément croyant : d’après
certains historiens, Domenikos est né minoritaire chez
les Orthodoxes, de confession catholique comme toute
la classe aisée de la ville – son père collectant les impôts
pour Venise; d’autres pensent qu’il s’est converti lors de
son séjour en Italie)? Déjà, après le travail de l’atelier, il
lit la Bible, Homère, Aristote, Plotin, les Oraisonsde
saint Jean de Chrysostome, saint Denys l’Aréopagite; se
demande si le vrai, le beau, le bon auxquels se réfère
Greco.
Saint Luc.
Huile sur toile, 98 x 72 cm. Tolède, cathédrale. >