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page 10 (artabsolument) no 13 • été 2005
L’acte de peindre s’immerge dans la peinture. Ce qui
sera peint sera toujours la peinture. Le peintre ne
peint pas la peinture, c’est la peinture qui se peint
sous ses yeux. Le peintre n’est là que pour accomplir
l’acte de peinture.
Vincent van Gogh vient juste de commencer à peindre à
l’huile, ses premières tentatives remontent à août 1882
à la suite des leçons avec son cousin Antoine Mauve.
La facture de cette peinture sur toile est très diffé-
rente de ce qu’il a pu peindre jusqu’à maintenant, des
paysages ou des scènes de rue avec des gens du
peuple vaquant à l’ordinaire de leur besogne. Il s’agit
ici d’un petit format vertical où la vue sans person-
nage est frontale comme si elle était prise à travers
l’encadrement d’une fenêtre. La ligne de f aîte des
toits divise la surf ace en deux parties sensibl ement
égales : le glauque du canal et des maisons opposé à
la transparence du ciel.
L’eau du canal a une matérialité à la fois compacte et
fluide. C’est le lieu où toute forme a disparu, où tout
est absorbé, englouti dans une dynamique qui draine
sa propre masse.
Les mornes maisons aux toits rouges sont à l’image de
la condition des habitants qui les occupent. Seule la
maison de gauche a un volume, contrairement aux deux
autres qui, par un curieux eff et d’optique, semblent se
déplier à plat, donnant l’impression de n’en faire qu’une.
Au-delà, le ciel d’une densité lumineuse sourde et
légère d’où émergent, telle une apparition, le haut de
la toiture de la nouvelle église et son clocher. Ils se
fondent dans l’élément gazeux, l’ultime flèche se dis-
sipant comme une vapeur immatérielle.
Un petit trait de lumière éclaire la base du clocher, on
retrouve cet éclat lumineux frisant l’arête verticale de
la maison à droite, côté rabattu du triangle équilatéral
formé par la jointure enluminée des deux t oits. Rien
ne permet de déterminer l’origine de cette lumière
alors qu’il règne une atmosphère diffuse propre à la
peinture des villes du Nord. La manifestation de cette
lumière est d’un autre ordre et le salut est ailleurs.
Vincent van Gogh s’identifiera plus tard à l’acte de
peindre et on parl era de la t ouche du peintre. Ici, il
s’abandonne à l’acte de peinture et l’acte de peinture
s’identifie à lui. Lui qui désira être prédicateur se
révèle dans cette peinture quasi religieuse, manifeste
de la Trinité et de sa transcendance, là où la peinture
serait le médium dont le peintre est le sujet.
I
L’artiste Jean-Pierre Bertrand dont l es lecteurs de la r evue ont lu l es légendes sur
quelques-unes de ses œuvres dans notre numéro 8 nous a envoyé le texte suivant.
Esthétique
À propos d’une toile de Vincent van Gogh
Par Jean-Pierre Bertrand