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La peinture primitive italienne, les miniatures
persanes, le XVIII
e
siècle à la Hogarth, le sur-
réalisme, la mythologie antique… Dès lors que
l’on fouille les œuvres de Karine Rougier, les
références grouillent. Il suffit d’ailleurs de lui
rendre visite à l’atelier pour en prendre très vite
la mesure. Toutes sortes d’ouvrages, de vieilles
gravures, de cartes postales et autres illustra-
tions y sont posés, ici et là, sur des tables à tré-
teaux, certains en vrac, d’autres soigneusement
rangés. On y repère au hasard
L’Éloge de la main
d’Henri Focillon, des reproductions de pietà, les
Cent Merveilles choisies par Sacha Guitry
, une édi-
tion de poche des
Métamorphoses
d’Ovide dont
le passage suivant est souligné : « […] quand le
dieu enveloppa au loin la terre dans une nuée
Karine Rougier,
« le beau est toujours bizarre»
ténébreuse ; il arrêta la fuite de la nymphe et
lui ravit l’honneur. » Bref, il y va de l’étal d’une
vieille librairie au beau milieu duquel un vieil
album de gravures et d’images en tous genres
occupe une place de choix. L’artiste aussitôt
intervient : «C’est un album que j’ai récupéré de
l’atelier de mon grand-père, lequel était rempli
de malles en bois et de carnets à l’italienne. Il
me sert de réservoir d’images et m’entraîne à
établir tout plein de connexions entre elles. »
L’information est précieuse : Karine Rougier
est issue d’un milieu artistique. Née à Malte, en
1982, plus précisément à Pietà – ça ne s’invente
pas ! –, de mère maltaise et de père français,
l’artiste, si elle n’a pas grandi sur l’île, a du
moins été élevée dans le souvenir de quatre
générations de peintres, pour l’essentiel de
coupoles d’églises. De sa petite enfance passée
à Korhogo, dans le nord de la Côte d’Ivoire,
Edgar.
2017, huile sur bois, 30 x 30 cm.
PAR PHILIPPE PIGUET
Il y a des indices qui ne trompent
pas. Demandez à Karine Rougier
de vous montrer l’image d’accueil
qu’elle a mise sur son téléphone
portable et vous en apprendrez
plus en un clic qu’en de longs
discours. La reproduction du
Christ
aux outrages
de Fra Angelico (c.
1441, Florence, Couvent San Marco,
cellule 7) y apparaîtra, plein cadre,
baignée d’une lumière intérieure
quasi aveuglante. Les yeux bandés,
recouverts d’un tissu blanc si fin
qu’il les laisse deviner fermés, vêtu
d’une robe immaculée, le fils de
Karine Rougier
Fotokino, Marseille. Du 23 mars au 5 mai 2019
Karine Rougier. En même temps elle sentit la matière du ciel
Thalie Lab, Bruxelles. Du 23 avril au 15 juin 2019
Dieu y est représenté, façon «
Ecce
Homo
», dans un face-à-face d’une
rare puissance qui en dit long d’une
humanité à la déroute. La scène tient
d’une étrange esthétique symboliste
car la figure du Christ est entourée
de cinq mains coupées et d’une
tête décapitée qui appartiennent
de toute évidence à ses bourreaux,
lui déniant toute grandeur et le
représentant comme un non-roi.
Une image surréalisante, avant
la lettre. C’est elle que l’artiste
voit chaque fois qu’elle ouvre son
portable. C’est dire…
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