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Les coquelicots
d’Emil Bührle
« [J’ai découvert] pour la première fois, en
automne 1913, les magnifiques tableaux de
l’École française que le génial Suisse Hugo von
Tschudi, directeur de la Galerie nationale, avait
acquis malgré la colère de l’empereur alle-
mand », expliquait Emil Bürhle le 14 juin 1954,
devant une audience réunie à l’Université de
Zurich. « L’atmosphère propre à ces tableaux,
et surtout celle du paysage si évocateur de
Vétheuil par Claude Monet, m’impressionna
vivement. » Rappel de ses premiers pas comme
étudiant en histoire de l’art à la Nationalgalerie
de Berlin, et retour sur une de ses acquisitions
fondamentales, celle du
Champ de coquelicots
près de Vétheuil
(vers 1879) du même Monet
auprès de Fritz Nathan en 1941. Entre-temps,
le jeune Bürhle a connu la Grande Guerre, a
émigré en Suisse en 1924 et s’est mu en indus-
triel aguerri – que les signes avant-coureurs
de la Seconde Guerre mondiale, justement, ont
largement enrichi. D’une part, le «réarmement
secret de l’Allemagne » depuis le début des
années 1930 le voit approvisionner amplement
en canons et fusils l’armée nazie depuis le
territoire neutre où il a élu domicile, de l’autre
des commandes d’armes abondent en prove-
nance des états-majors français et britannique,
inquiets des mouvements souterrains de leur
ennemi non déclaré, à partir de 1937.
Achats systématiques
1937, année de sa naturalisation suisse, est aussi
celle de ses premiers achats. Auprès de ses
marchands helvètes, Emil Bürhle s’intéresse
à ce qu’il tient pour des « valeurs sûres », les
impressionnistes de la première génération –
Monet, Renoir, Degas,
– avec des sauts vers
des maîtres anciens, comme l’acquisition d’une
grande compositionmythologique de Fragonard.
Il s’autorise également l’arrivée de Paul Gauguin
et de Vincent van Gogh dans son fonds. «On peut
avancer que Bürhle a collectionné l’art moderne
comme d’autres à son époque collectionnaient
l’art ancien », explique Lukas Gloor, qui dirige
et veille désormais sur sa collection, déposée
dans un musée privé à Zurich. « Son approche
est d’ailleurs systématique : il recherchait des
grands noms uniquement et des œuvres de
premier plan. Pour Cézanne par exemple, il a
voulu rassembler tous les genres dans lesquels
a excellé le peintre : les paysages, les portraits
et les natures mortes – et il a moins abouti pour
ces dernières. » Si cela ne fait pas de lui un
amateur de la prise de risque, sa «méthode »
lui vaut la possession de pièces remarquables.
Quelques-unes sont légèrement surpayées à
ses débuts, mais sa connaissance du marché
La Collection Emil Bührle
Musée Maillol, Paris
Du 20 mars au 21 juillet 2019
Commissariat : Lukas Gloor
Henri de Toulouse-Lautrec.
Messaline
.
1901, huile sur toile, 92 x 68 cm.
Collection Emil Bührle, Zurich.
PAR TOM LAURENT
Peut-on vendre des canons et
aimer les coquelicots brossés par
Monet ? La réponse d’Emil Bührle,
qui affirma avoir choisi pendant
la Première Guerre mondiale
de « séparer les préoccupations
de l’amateur d’art de celles du
professionnel », se trouve dans sa
collection d’œuvres majeures, et
surtout impressionnistes, dont le
musée Maillol montre les fleurons.
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