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futurMusée de l’Homme à ouvrir en 1938.
Malgré son parcours peu académique,
agilité intellectuelle, aisance relationnelle,
sens de la fête populaire et de la méthode
pour le repérage des collections font de
Georges Henri Rivière un partenaire pré-
cieux alors qu’il faut tout inventer. Années
folles de l’ethnographie, sans équivalent
dans l’histoire des musées de la colline
de Chaillot. Scientifiques, marchands,
collectionneurs, politiques, artistes ou
mécènes – dont les fastueux époux
Noailles ou le banquier David David-
Weill… – : tous sont sollicités pour enrichir
et documenter les collections du futur
musée, à vocation universelle. Le musée
lance aussi une centaine de missions
d’exploration scientifique des horizons
lointains. En 1934, Alfred Métraux part
pour l’île de Pâques et Paul-Émile Victor
pour le Groenland mais dès 1931, Marcel
Griaule lance la célèbre mission ethno-
graphique et linguistique Dakar-Djibouti –
l’Afrique noire d’ouest en est en deux ans.
Pour lever des fonds pour l’expédition,
GHR organise un combat de boxe très
lucratif entre les champions Al Brown et
Simendé. Et toujours attentif à la dimen-
sion humaine, il complète l’équipe de
Griaule en leur associant l’artiste Gaston
Louis Roux et l’écrivain Michel Leiris, qui
en rendra compte dans
L’Afrique fantôme
.
Georges Henri Rivière lui-même a beau-
coup voyagé, dans l’Europe entière, aux
États-Unis, grâce à son court mariage
avec une Américaine qui l’introduit dans
tous les grands musées, et il continue
après la guerre comme directeur de
l’ICOM de 1948 à 1965, développant
sans relâche ce réseau international de
tous les musées. Est-ce ainsi qu’il s’est
forgé une conception idéale?
GV :
Il découvre l’importance des équipes
diversifiées où chacun accomplit un
métier précis – conservateur, biblio-
thécaire, documentaliste, régisseur,
gardien, … Cette répartition des tâches
alors inconnue en France, il l’installe au
Trocadéro. Quant à l’organisation idéale
des collections, il la définit dès 1929 et
il va s’y tenir : d’un côté les salles d’expo-
sition ouvertes au public, avec les
unica
classés par pays, et par catégories de
matériel, soigneusement documentés et
d’autre part les réserves, avec les séries
et les doubles dans unminimumd’espace
et accessibles aux chercheurs et travail-
leurs qualifiés.
Comment en vient-il à concevoir un musée des arts et traditions popu-
laires? Et pourquoi appliquer l’exploration ethnologique non plus aux pays
lointains mais aux régions de France?
MARIE-CHARLOTTECALAFAT:
Ce glissement est favorisé dès 1936 par le Front
populaire. Or pour GHR le savoir du peuple se traduit dans les objets com-
muns, signes matériels du savoir-faire, des coutumes, des croyances. Il faut
donc les mettre en valeur. À l’Exposition internationale de Paris de 1937, GHR
présente un
Musée du terroir
et
La Maison rurale en France
et il aménage un
département des Arts et Traditions populaires dans le sous-sol du Palais de
Chaillot, en prélude à un futur musée spécifique. Il s’interroge de fait sur le
monde de demain : «Que sera-t-il ? Machiniste, industriel, uniformisé? Les
progrès techniques vont-ils écraser l’homme sous le poids de son œuvre?
Et si ce monde venait à disparaître? » Il y a urgence à collecter objets et
documents de l’artisanat traditionnel et d’enregistrer toutes les étapes de
Masque anthropozoomorphe, Kanaga.
Avant 1931, culture dogon, Mali, bois, pigments, fibres végétales, métal, 123 × 64,5 × 24,7 cm.
Musée du quai Branly-Jacques Chirac, Paris.
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DÉBATTRE
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