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physique et même transcendante. Lorsque Bach joue
avec les mathématiques, ce n’est pas simplement
un jeu avec les nombres et les proportions : ce jeu
est l’expression d’une image du monde. » Après
Zeitigung
en 2018 – reprise du
Zeitung
de 2008 où
le pianiste Alain Franco faisait dialoguer le
Clavier
bien tempéré
de Bach avec les corps de huit jeunes
danseurs masculins –, Anne Teresa de Keersmaeker
pourrait avoir exprimé le monde de Bruegel et donné
sa propre version de la
Parabole des aveugles
avec
la pièce
Mitten wir im Leben sind
/
Bach6Cellosuiten
.
Tiré de la phrase «Au milieu de la vie, nous sommes
(entourés par la mort) » – choral de Luther cité par
Bach et aujourd’hui gravé sur la tombe de Pina
Bausch –, ce ballet en forme de grand cérémonial
mortuaire allant vers la nuit s’articule entièrement
autour des six
Suites pour violoncelle
de Bach, com-
posées après la disparition de sa première femme.
Déployant un danseur, associé au violoncelliste
Jean-Guihen Queyras et à elle-même, en spirales,
cercles et pentagrammes, qui vont croissant d’une
suite à l’autre, la chorégraphe recrée l’amplitude
des préludes, le hiératisme des sarabandes ou le
À VOIR
Ghelderode/Ligeti.
Le Grand Macabre
, opéra de Ligeti d’après Ghelderode, direction Fabio Luisi, mise en scène
Tatajana Gürbaca. Opern Haus, Zürich. Du 3 février au 2 mars 2019
Lech Majewski.
Bruegel – le Moulin et la Croix
. DVD Blaq Out
Andreï Tarkovski.
L’Intégrale
. 8 DVD, Potemkine/agnès b.
Abbas Kiarostami.
24 frames
. DVD Janus Films
Anne Teresa de Keersmaeker.
Mitten wir im Leben sind/Bach6Cellosuiten
. Schouwburg, Festival van Vlaanderen, Kortrijk. Le 23 février 2019 / Sadler’s
Wells, Londres. Le 25 avril 2019 / Arsenal, Metz. Le 27 avril 2019
Zeitigung
. Arsenal, Metz. Le 25 avril 2019
Les Six Concertos brandebourgeois
. Concertgebouw, Bruges. Les 27-28 février 2019 / Palais Garnier – Opéra de Paris.
Du 8 au 14 mars 2019 / Kunsthuis, Gand. Les 20-21 mars 2019 / Opéra de Lille, Du 24 au 26 mai 2019
À LIRE
Anne Teresa De Keersmaeker: Rosas 2007 – 2017.
Photographies d’Anne Van Aerschot et Herman Sorgeloos, textes de
Gilles Amalvi et Floor Keersmaekers. Publié par Rosas / Fonds Mercator /Actes Sud – 50 €
Pieter Bruegel l’Ancien.
La Danse des paysans.
Vers 1568, huile sur panneau de chêne, 114 × 164 cm
Kunsthistorisches Museum, Vienne.
Les Six Concertos brandebourgeois
, chorégraphie
de Anne Teresa De Keersmaeker, direction musicale
de Amandine Beyer / Rosas & B’Rock Orchestra.
Première mondiale à la Volksbühne, Berlin, 2018.
« bourdonnement de l’humanité » des allemandes
du maître de chapelle de Coëthen. Si
SOMNIA
, la
pièce pour quarante danseurs qu’elle prépare avec
Jolente De Keersmaeker et les étudiants de P.A.R.T.S
pour les bois de Gasbeek, s’inspire des
Songe
de
Shakespeare et de Kepler et non pas de Bruegel, sa
dernière pièce créée d’après Bach,
Les Six Concertos
brandebourgeois
, met en scène seize interprètes de
différentes générations, des danseuses de 50 ans
partageant le plateau avec de très jeunes dan-
seurs, dans le but avéré de rendre lisible le passage
du temps sur les corps. « Nous avons tous cela en
commun : un jour, mourir », commente-t-elle.
« Nous sommes conscients de notre finitude tout
en pouvant nous imaginer l’éternité. Pour donner
forme à cette abstraction, il faut enlever autant que
possible, pour qu’il ne subsiste que l’essentiel. Il y
a un beau paradoxe : vous enlevez, mais c’est pour
faire de la place : à l’imagination du spectateur. »
Dans ses derniers tableaux, constitués de «plus de
pensée que de peinture », pour reprendre l’expres-
sion d’Ortelius, Bruegel lui aussi retrouve l’éternité,
en faisant appel à l’imagination des siècles.
DOSSIER
BRUEGEL