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FRANÇOIS JEUNE
D’où vient l’usage des trames
impliquées dans tes dessins colorés que l’on
voit étalés au sol ou épinglés aux murs de
ton atelier – trames qui allient le décoratif et
l’architectonique?
FRÉDÉRIQUE LUCIEN
En 1997, je suis partie en rési-
dence à Budapest. J’ai découvert la Hongrie,
un pays qui sortait d’une période austère, d’une
politique rigide à l’opposé du faste légendaire
que je fantasmais, celui du palais de l’impéra-
trice Sissi (rires) ! Ainsi à Budapest, j’ai trouvé
très peu de matériel artistique mais plutôt
du matériel d’écolier, des paquets de petites
feuilles contenant des trames très simples et
géométriques, d’autres de couleur. J’ai associé
les feuilles de couleur, découpées à partir de
dessins de végétaux, aux feuilles tramées
après
les avoir agrémentées d’éléments décoratifs
observés au cours de mes promenades, liés
à l’architecture ou à la mosaïque d’influence
turque. Au XVI
e
siècle, le pays était occupé par
l’Empire ottoman et outre les mosquées, on
trouve de nombreux bâtiments publics comme
les thermes Széchenyi ou Gellért, le tombeau
de Gül Baba à Budapest, où j’ai trouvé mon ins-
piration. Sensible à l’architecture, je crois que
Frédérique Lucien,
je n’ai jamais autant arpenté une ville ! Je me
réveillais comme tous les «Budapestois» à 6 h
tous les matins, pour aller dans les bains. Il y
avait peu de sanitaires, peu d’équipements de
santé, et ils étaient majoritairement publics.
Toute la ville s’y retrouvait, comme au café, pour
parler, jouer aux échecs ou recevoir des soins
médicaux. Portée par le rythme de la ville, je
retournais à l’atelier vers 10 h, «enrichie» par
les observations, les sensations que j’avais gla-
nées le matin. Je prenais des notes, je faisais
des esquisses des carreaux de céramiques que
j’observais. J’ai déambulé ainsi dans la ville pen-
dant trois mois…
Comme le dit KarimGhaddab, «ces opérations
de collecte et de glane ne se développent pas
sur la reconduction des canons artistiques
mais sur un principe d’
hospitalité esthétique
pour lequel la forme qui sera retenue peut se
rencontrer aussi bien à l’occasion d’une visite
au musée que lors d’une promenade à la cam-
pagne». Les voyages seraient donc au point de
départ de ta démarche?
Ils font évoluer mon regard sur la couleur, la
lumière. Les couleurs en Bretagne ne sont pas
les mêmes qu’en Île-de-France ou en Asie…
Récemment, je suis allée au Vietnam (sur les
traces de mon arrière-grand-père cartographe
qui a vécu là-bas) : outre le choc culturel, le
Grand feuiller 2018
.
2018, papier découpé, acrylique et crayon, 185 x 140 cm.
Courtesy galerie Jean Fournier, Paris.
ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS JEUNE
Frédérique Lucien, depuis trente ans, éclipse en même temps l’un par l’autre dessin
et couleur, traces et découpes, figuration et abstraction, fleurs et corps ou pour le
dire autrement avec Didier Semin « la proximité du sexuel et du botanique ». Dans
ses travaux récents, Frédérique Lucien développe des couleurs vives et tramées,
des contrastes colorés à la limite du baroque, qui saturent le dessin des végétaux.
Frédérique Lucien est une artiste «entomologue». Plutôt que des papillons ou au-delà
des déclinaisons végétales, ne s’agit-il pas, pour cette artiste souple et précise, en
épinglant et découpant différents modes de couleur, d’une entomologie de la couleur ?
une entomologie de la couleur
Trames et Variations
Galerie Jean Fournier, Paris
Du 8 novembre au 21 décembre 2018
Quartiers d’hiver
Orangerie de Sucy-en-Brie
Janvier 2019
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