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Fiat lux.
«Nous ne sommes pas faits pour les
ténèbres, assure la réalisatrice Agnès Bovet-
Pavy dans son documentaire
Lumières sur la
ville
. La nuit, c’est le royaume des revenants,
des illusions et du désordre. » Pour Caravage
au contraire, l’obscurité, c’est la règle et la
lumière, l’exception. Né pour seconder la
police, le service d’éclairage public de lanternes,
imposé par Louis XIV et son lieutenant général
de police La Reynie à Paris en 1667, va faire de
la lumière urbaine un instrument de pouvoir et
d’oppression. Mais la Rome papale du début du
XVII
e
siècle, où seules les dispendieuses bougies
de cire et les médiocres chandelles de suif per-
mettent de trouer l’horreur de profondes nuits,
ne permet pas encore de délimiter les lieux
fréquentables. Livrée au banditisme, la nuit y
inverse l’ordre du jour, faisant des voleurs et des
peintres les princes de la cité. Anticipant sur le
cinéma d’un Pasolini, Michelangelo Merisi, le
gamin venu de Caravaggio, règle ses scènes de
vie violente à l’aide de puissants projecteurs,
Caravage,Van Loon,
qui érigent la lumière en arbitre du désordre et
transforment l’abjection du réel en miséricorde
de Dieu. Réduisant l’action et le nombre de ses
figures, exposant celles-ci en taille réelle à mi-
corps, l’artiste de tous les dangers travaille de
manière hâtive, sans dessin préparatoire, dans
un atelier tendu de noir, tout juste éclairé par le
faible rai de lumière d’un soupirail. En exaltant
le physique, Caravage atteint la métaphysique
dans toute sa mystique crudité.
Dans la nuit obscure
de Caravage
Avant que les fastes du baroque n’éclairent le
siècle des Lumières, Caravage plonge le début
du XVII
e
siècle dans ses leçons de ténèbres.
Le caravagisme qui s’empare de Rome dans
les années 1600 n’est pas une école, c’est un
mauvais coup à plusieurs. De gamin des rues à
protégé des banquiers et des prélats, le peintre
du noble et de l’ignoble passe allègrement de
l’aristocratie à la canaille, fréquentant aussi bien
le salon de musique du cardinal del Monte que
Caravage à Rome. Amis et ennemis
Musée Jaquemart-André, Paris. Du 21 septembre 2018 au 28 janvier 2019
Commissariat : Francesca Cappelletti et Pierre Curie
Théodore van Loon. Un peintre caravagesque entre Rome et Bruxelles
BOZAR, Bruxelles. Du 10 octobre 2018 au 13 janvier 2019
Commissariat : Sabine van Sprang
Michelangelo Merisi, dit Caravage.
Ecce Homo
.
1605 (?), huile sur toile, 128 x 103 cm.
Musei di Strada Nuova– Palazzo Bianco, Gênes.
PAR EMMANUEL DAYDÉ
En projetant la crudité du réel dans la nuit de la fiction, Caravage révolutionne la
peinture et la représentation de l’invisible au début du XVII
e
siècle à Rome. Tandis que
le musée Jacquemart-André à Paris analyse cette révolution en neuf chefs-d’œuvre du
maître, posés en regard de ses contemporains aveuglés ou éblouis, BOZAR à Bruxelles
fait sortir de l’ombre la grandeur nature oubliée de Théodore van Loon, premier
caravagesque flamand. Le caravagisme est aussi un humanisme.
le désordre et la nuit
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