Art Absolument 82 - Mars / Avril 2018 - aperçu - page 24

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Jeune diplômée de Harvard, Susan Meiselas
se consacre à une série de portraits des loca-
taires de la maison où elle logeait, étudiante,
au
44 Irving Street
(1971). Là, elle conçoit une
nouvelle approche photographique, qui fera sa
signature : entamer une discussion ouverte avec
ses modèles, plutôt que de rester étrangère à la
scène qu’elle saisit. En effet, Meiselas demande
à ses sujets de décrire la façon dont ils se per-
çoivent à travers ses images, et associe leurs
commentaires à ses portraits – qu’elle leur offre
systématiquement. Ou comment penser la pho-
tographie comme une relation réciproque…
Pendant trois étés, de 1972 à 1975, Susan
Meiselas suit des spectacles itinérants de strip-
teaseuses. Elle partage leur quotidien et gagne
ainsi leur confiance. Équipée d’un Leica qu’elle
utilise sans flash, Meiselas se fond parmi les
spectateurs ébahis. Puis elle accède aux cou-
lisses des shows, où elle enregistre près de 150
heures d’entretiens avec les filles. Apparue dans
le contexte de la libération sexuelle, la série
Carnival Strippers
se démarque pourtant des dis-
cours féministes de l’époque. Meiselas rappelle
qu’elle n’a nullement l’intention de victimiser les
danseuses, issues des classes pauvres, ou de les
représenter comme des femmes exploitées. Au
contraire, la photographe est admirative de ses
modèles : «Je m’identifiais profondément à ces
femmes qui avaient le sentiment de déterminer
elles-mêmes leur vie», explique-t-elle
.
De ces
road-trips, allant de la Nouvelle-Angleterre à la
Caroline du Sud, résulte un livre qui lui vaudra
d’intégrer l’agence Magnum en 1976.
Mais si les commandes que lui passe la presse
se limitent à des portraits de femmes, dans la vie
politique ou l’armée américaine, Susan Meiselas
donne un nouvel élan à sa carrière. Alertée par
l’assassinat du directeur de la
Prensa
, journal
opposé à la dictature de Somoza, Meiselas part
pour le Nicaragua en 1978. Elle y passera plus
d’une décennie à documenter les traces d’un
processus historique s’étendant bientôt à toute
l’Amérique latine : la volonté des peuples à
s’autodéterminer, et à se soulever contre les
régimes soutenus par les États-Unis. Ses photos
ne font pourtant pas l’unanimité. Publiées en
couleurs, on leur reproche de « romantiser »
la révolution sandiniste. Meiselas, quant à
elle, définit son travail comme un ensemble de
séquences narratives au service des insurgés.
Complétés de témoignages et de textes, ses cli-
« Pourquoi exécuter un portrait ? Pour qui ? Et à quoi cela sert-il ? » Telle
est la méthode critique qui, depuis 1971, anime la démarche de Susan
Meiselas. De ses premières séries réalisées dans l’Amérique profonde
jusqu’à ses photos de la révolution sandiniste ou du génocide kurde
publiées dans la presse internationale, Meiselas n’a eu de cesse de
redéfinir les préceptes du documentaire et du photoreportage. Pour
renverser la relation d’autorité censée lier un photographe à son sujet –
et redonner toute sa place à celui-ci. Et critiquer le mode de diffusion
des images par les médias.
PAR FRANÇOIS SALMERON
Susan Meiselas,
autodétermination
en ligne de front
Susan Meiselas. Médiations
Jeu de Paume, Paris
Du 6 février au 20 mai 2018
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PORTFOLIO
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