Art Absolument 82 - Mars / Avril 2018 - aperçu - page 33

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Cet exercice est bien sûr délicat. Sarkis,
après Kounellis, devait travailler au sein
des appartements meublés, mais ces
derniers ne l’inspiraient, pas, car il les
trouvait trop chargés, et nous l’avons
attiré dans le grenier, où se trouvaient
les anciennes chambres de service.
L’endroit l’a subjugué. Il pouvait paraître
un peu risqué d’amener le visiteur dans
des espaces qui n’étaient pas restaurés,
mais c’était aussi le moyen de l’entraîner
dans des lieux qu’il ne voyait pas habituel-
lement – et de fait de donner un espace
d’expression autre aux artistes. C’était
un pari de le faire dialoguer avec des
chambres aux papiers peints déchirés –
dont Gabriel Orozco s’est ensuite direc-
tement inspiré avec ses
Fleurs fantômes
et que Sheila Hicks va investir en 2018 –
et finalement le public a été charmé. La
question s’est aussi posée pour Gerda
Steiner et Jörg Lenzlinger, lorsqu’ils ont
investi la chapelle du château avec leur
extraordinaire jardin suspendu. Mais leur
geste, de l’ordre de la célébration, comme
s’il s’agissait de l’évocation d’un paradis, a
été tout à fait compris.
En ce qui concerne le mobilier, l’en-
semble constitué par la famille de Broglie
est une « construction » du XIX
e
siècle
et il y a une partie dont la princesse a dû
se séparer à la vente du château. Cela
vous rend-il plus libre par rapport à ce
patrimoine?
Lors de la cession à l’État en 1938, ce
dernier a racheté des tapisseries et du
mobilier. Depuis 2008, 800 meubles et
objets ont été acquis par le Domaine,
grâce à un fonds régional, et 80 y ont été
déposés par le Mobilier national, le tout
dans un esprit de recherche d’une cohé-
rence patrimoniale relativement aisée
grâce à la documentation photographique
d’époque, pour restaurer l’ambiance de la
fin du XIX
e
-début XX
e
siècle. À l’étage, on
trouve une évocation des grands person-
nages propriétaires du château pendant
la Renaissance, Catherine de Médicis et
Diane de Poitiers, évocation que le prince
et la princesse de Broglie ont eux-mêmes
créée. Nous sommes très rigoureux pour
le décor et le remeublement – une pièce
comme la salle à manger était vide à mon
arrivée –, mais cela ne nous empêche
pas de déclencher des dialogues entre
l’histoire et l’art contemporain. Cette
année, Sarkis va intervenir à nouveau
en ce sens : nous avions une commode
abîmée, qui sera installée dans le salon
de la princesse, qu’il nous a proposé de
« réparer », selon la méthode japonaise
du kintsugi, en saupoudrant d’or les failles
de ce meuble, lui redonnant ainsi une
seconde vie, en sublimant ses blessures.
Très jeune, j’ai eu la chance de visiter, près
d’Anvers, le château d’Axel Vervoordt, qui
a notamment investi le Palazzo Fortuny,
lors des dernières Biennales de Venise.
La manière intelligente qu’il a de lier
subtilement mobilier ancien et œuvres
contemporaines m’a alors fortement
marquée et sans doute cette vision
décloisonnée, ce lien permanent entre
le passé et le présent, m’inspire-t-elle à
Chaumont-sur-Loire.
Gilles Clément dit que « pour faire un
jardin, il faut un morceau de terre et
l’éternité ». Quel écho cette pensée
déclenche-t-elle lorsqu’on fréquente
jour après jour un jardin?
Je pense que Chaumont est unmoyen de
se reconnecter aux rythmes et à la beauté
de la nature et que ce lien est renforcé,
parfois sans que l’on s’en rende compte,
par les œuvres d’art. C’est indispensable
de retrouver les arbres et la terre. Quand
El Anatsui revient au domaine après
avoir connu les honneurs de la Biennale
de Venise, il me semble que, lié à l’esprit
des lieux, il y trouve un ressourcement.
Car Chaumont connecte justement des
sphères qu’on a tendance à séparer, mais
nous immerge également dans une forme
d’intemporalité : il y a le passé qui intéresse
les artistes, bien sûr, mais surtout un autre
temps qui est celui des saisons. Demême,
ceux qui viennent visiter le domaine y
retrouvent des œuvres familières et, en
même temps, ils savent qu’il y aura de
nouveaux artistes : ils y retrouvent cer-
tains arbres, mais aussi de nouvelles créa-
tions de jardins. Ce jeu entre l’éternel et
l’éphémère est constant pour les artistes.
Le temps de la visite, qui dure souvent la
journée, doit être une respiration, une ins-
piration, une plongée dans un temps long
qui nous relie à l’essentiel.
À voir au Domaine de Chaumont-sur-Loire
10 ans d’art contemporain
– avec Sheila Hicks, Sarkis, Jacques Truphémus,
Frans Krajcberg, Eva Jospin, … Du 31 mars au 4 novembre 2018
Festival international des jardins
– 30 jardins sur le thème
«Les jardins de la pensée». Du 24 avril au 4 novembre 2018
François Méchain.
L’Arbre aux échelles.
2009, installation dans le parc historique.
Sheila Hicks.
Glossolalia.
2017, installation dans le chenil.
Karine Bonneval.
Saccharumania
.
2017, installation dans la Salle du Conseil,
sucre taillé, cloches en verre, dimensions variables.
Sarkis.
Ailleurs ici.
2011-2013, installation
dans l’aile ouest du château, vitraux.
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