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Mapplethorpe,
un classique scandaleux
Par François Salmeron
Robert Mapplethorpe. Focus : Perfection
Musée des Beaux-Arts de Montréal
Du 10 septembre 2016 au 22 janvier 2017
Soutenue par la Fondation Mapplethorpe, cette rétrospective regroupe au
musée des Beaux-Arts de Montréal près de 250 œuvres du plus controversé des
photographes. De ses premiers polaroïds à sa consécration en tant que maître
du noir et blanc, Robert Mapplethorpe déclenche en effet de nombreuses polé-
miques. Jugé tout d’abord immoral pour le contenu explicitement sexuel de
ses clichés, auxquels il apporte un grand soin formel, l’artiste a désormais
tendance à être présenté comme un classique, trente ans après sa disparition.
Retour sur un étonnant paradoxe.
Né en 1946 dans une famille catho-
lique installée dans le Queens, le jeune
Mapplethorpe ne se prédestine pas vrai-
ment à la photographie : son père, ingé-
nieur, dispose d’une chambre noire au
sous-sol de sa maison, mais l’adolescent
ne s’y aventurera jamais. Il suit d’abord
des cours de design publicitaire au Pratt
Institute avant de privilégier les arts plas-
tiques en 1965. Il mène alors une vie de
bohème et s’installe avec la poétesse Patti
Smith au Chelsea Hotel de New York, lieu de
la contre-culture américaine, où le loyer se
monnaye en échange de quelques œuvres.
Influencé par le surréalisme et le collage,
il confectionne des assemblages d’objets et
d’images cheap, qui prennent la forme de
petits retables, d’autels ou de reliquaires.
Si ses premières œuvres trahissent son
éducation religieuse, ou son goût pour la
symétrie (qu’il conservera tout au long de
sa carrière), elles dévoilent bientôt sa fas-
cination pour l’iconographie érotique des
revues culturistes qu’il découvre, émer-
veillé, dans les kiosques de New York. Dans
ses compositions, il intègre dorénavant des
photographies de corps nus, préalablement
découpées dans des magazines gays, qu’il
couvre de pastilles colorées, comme pour
annoncer la future censure qui frappera
son œuvre, et instaurer les termes de sa
propre quête artistique : la dialectique du
désir et du tabou.
Le Polaroïd,
premier contact avec la photo
Avec ses boucles brunes et son look hippie,
Robert Mapplethorpe se forge une image
de jeune éphèbe, et connaît de nombreux
amants à un moment où la communauté
homosexuelle, suite aux émeutes de
Stonewall en 1969, revendique ses droits et
s’affirme publiquement. Il rencontre alors
deux hommes qui auront une influence
décisive sur sa carrière : John McKendry
et Sam Wagstaff. Le premier, conserva-
teur des dessins et des photographies
du Metropolitan Museum, lui offre un
Polaroïd et lui ouvre les archives du musée
afin de parfaire sa culture. Avec sa faible
profondeur de champ, le Polaroïd mène
Mapplethorpe à réaliser des clichés de son
Derrick Cross.
1983, preuve à la g latine argentique, 48,5 × 38,2 cm.