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artabsolument
)
• no 21 • été 2007
Les livres, le Livre
PA
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On sait que les livres font partie intégrante de votre
vie. D’une part, vous en fabriquez : vos livres d’ar-
tistes semblent être à la fois le journal de vos pensées
et des répertoires de formes à expérimenter. D’autre
part, vous les mettez en scène à travers des composi-
tions picturales et sculpturales. Est-ce que le livre, en
tant que parallélépipède rectangle constitué de
feuillets sur lesquels ce qui y est écrit ou dessiné
nous est dérobé au regard, le livre en tant que forme
matérielle a de l’importance pour vous ?
AK
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Le livre dans mon œuvre, c’est très important. C’est
un répertoire de formes, comme vous l’avez dit, et une
manière dematérialiser le temps qui passe, le temps qui
fuit. Il y a aussi des objets à l’intérieurmême demes dis-
positifs picturaux qui sont des livres. Pour moi, chaque
livre recèle en lui comme une onde qui se soulève, qui
forme une vague que je donne à voir lorsque j’en déploie
les pages ou que je les mets en scène comme une suite
infinie : le livre fait partie de la mer… Le livre est aussi
quelque chose que l’on peut toucher, c’est un volume
que l’on peut déplacer : l’aspect esthétique, l’aspect
matériel m’intéresse beaucoup. J’ai réalisé des livres
plus grands que la taille humaine, des livres ouverts où
le livre devient impossible à feuilleter. Normalement, les
livres sont faits pour être feuilletés, mais là ça devient
une forme qui est entre l’objet et le tableau, le livre et la
sculpture. Dans un tableau, d’un seul regard on voit le
tout, mais là vous n’en voyez qu’une facette, le reste vous
est comme dérobé au regard.
PA
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Une part non négligeable de votre œuvre est
consacrée à la Kabbale ; nombre de vos références
sont bibliques. Parfois, face à la puissance de pensée
expressive de vos œuvres, on songe aux malédictions
et aux bénédictions des prophètes. Quel rapport
entretenez-vous entre les livres et le Livre ? Les livres
sont-ils pour vous des fragments du Livre ? Ou le
Livre est-il un récit parmi d’autres ?
AK
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Le livre avec un L, les malédictions et les bénédic-
tions, bien sûr je les ai lues. J’en suis un lecteur. Par
exemple les prophètes Isaïe ou Jérémie, c’est comme
une vision de demain, ils voient la terre rase là où l’on
voit les pierres, la ville : « Je vais vous envoyer les
ennemis qui vont vous prendre vos femmes » etc.
C’est le mal humain pendant des pages et des pages.
Le prophète menace son peuple. C’est ce qui
m’étonne le plus : cette capacité de voir et de prévoir
le pire chez Jérémie – des jérémiades qui paraissent
exagérées mais qui sont hélas vraies. Humainement,
poétiquement, les prophètes sont liés à un temps dif-
férent, ils ont la capacité de voir des temps différents,
comme il a été, comme il est, comme il sera, ils voient
tout cela en un seul regard. Ils voient l’histoire et la fin
de l’histoire en même temps : c’est fascinant. L’Ancien
Testament est dans l’histoire et contre l’histoire, il
prône l’eschatologie, il attend le Messie et le Messie
symbolise la fin de l’histoire…
Pour Robert Fludd (Für Robert Fludd).
1996, livre, acrylique, émulsion
sur photographies montées sur carton, 17 pages,103,5 x 80,5 x 11 cm. Collection particulière.
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