PascalAmel
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On sait que la culture, qui est l’un des consti-
tuants de la civilisation, ne peut pas tout. La culture
russe n’a pas permis d’éviter le goulag. La culture
allemande n’a pas empêché le nazisme d’exister. Pis
même, l’instrumentalisation idéologique de tel ou tel
pan de la culture par les bourreaux laisse un goût de
cendre. Elle nous fait douter de la nécessité de l’art en
tant que tel. C’est la fameuse phrase d’Adorno :
«Comment être un artiste après Auschwitz ?» Mais,
inversement, une fois énoncée l’impossibilité d’être
un artiste ou tout du moins de produire de nouvelles
œuvres d’art après les ravages de la barbarie, ne
peut-on pas dire que les bourreaux ne nous ont pas
seulement désenchantés pour toujours mais ont –
dans une certaine mesure – gagné ?
Anselm Kiefer
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Pour ce qui concerne la fameuse phrase
d’Adorno, c’est vrai que la Shoah est unique dans
l’histoire, mais n’est pas unique dans l’histoire
comme événement. Il y a eu des génocides avant, il y
en aura après, il n’est pas exclu qu’il en existe en ce
moment même. Ce qui a rendu l’événement si cruel
en Allemagne, c’est une combinaison de fascisme et
de perfectionnisme. Vous savez que les Allemands
sont connus pour leur perfectionnisme. Mais pour
moi, Auschwitz est malheureusement à mettre dans
une suite, étant entendu que cet événement est de
toute évidence exceptionnel : je ne le relativise pas,
mais il est à comprendre dans une combinaison de
forme criminelle et de haute technique. Pour
rependre la phrase d’Adorno : si je la suis à la lettre,
elle me mène à l’extinction de moi-même, il faut que
je me tue puisque l’art est le cœur de mon être.
Est-ce que les bourreaux ont gagné ?
Je crois qu’ils gagneront toujours,
parce que l’art, la poésie, n’a pas le
pouvoir de s’opposer à cette cruauté, à
cette infamie, à cette brutalité. Mais,
malgré cela ou à cause de cela, le rôle
de l’art, pour moi, c’est de survivre.
Malgré cela, c’est le seul moyen de don-
ner un sens à ce qui paraît ne plus en
avoir, à ce qui sans doute n’en a pas.
Les bourreaux ont-ils gagné ?
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Exposition
Rencontre entre Anselm Kiefer et Pascal Amel
Lilith.
1990, livre, photographies montées
sur carton, sable, 32 pages. Collection particulière.
Monumenta 2007 –
Grand Palais
Anselm Kiefer – Sternenfall (Chute d’étoiles)
Du 30 mai au 8 juillet 2007
Commissariat : José Alvarez
| ACTU |
À l’occasion de l’exposition
Monumenta 2007
au
Grand Palais, l’un des artistes majeurs de notre
temps retrace les grandes lignes de son parcours.
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