Maurice Denis
, musée d’Orsay, Paris, jusqu’au 21 janvier
L’œuvre dévoilé, Maurice Denis dessinateur
, musée départemental Maurice Denis,
Saint-Germain-en-Laye, jusqu’au 21 janvier
| ACTU |
Ne prenant pas le risque de déplaire,
l’éblouissante exposition du musée
d’Orsay, qui déroule majestueusement
son tapis de splendeurs nabies, reste
encore partielle et partiale, et ne se
risque pas à la véritable rétrospective.
S’interrompant avec trois des premiers
– et fulgurants – décors profanes réali-
sés autour des années 1900, elle limite
les incursions postérieures à quelques
plages et paysages du meilleur goût
moderniste. Serge Lemoine, président
du musée, dit avoir voulu donner «une
image différente d’un des plus grands
peintres de la fin du XIX
e
siècle» en révé-
lant un grand paysagiste et un grand
photographe. Mais il ne dit rien du XX
e
siècle, que Denis a pourtant connu pour
moitié, jusqu’en 1943. Seul le musée du
Prieuré esquisse les minutes d’un pro-
cès en réhabilitation. Rappelant que,
pour Denis, «un dessin est un dessein»,
Agnès Delannoy, conservatrice en chef
dumusée départemental Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye, rassemble
de grands dessins, souvent inédits,
allant depuis ses réalistes essais d’éco-
lier jusqu’à ses académiques mises aux
carreaux de fresques des années vingt
(comme celles de
L’histoire de l’art
français
duPetit Palais, qui en sort gran-
die), en passant par ses “brouillons”
nabis les plus audacieux.
L’incroyable polyphonie de Maurice
Denis – Paul Ranson parlait même de
“polychrophilharmonie” – résiste aux
Qui a peur de Maurice Denis ?
>
Exposition
tentatives de réduction. Cette spiritualité intime et
intense qu’Orsay tente de gommer par une approche
prudemment formaliste, appréhende pourtant des
chemins de la liberté tout à fait originaux. Denis, loin
d’être une pensée unique, est un être multiple qui ne
trouve jamais mais qui cherche toujours, et dont l’in-
fluence au XX
e
siècle s’est fait sentir sur des courants
très différents. Néanmoins, l’esthétique de celui que
ses amis, par jeu, appelaient le “Nabi aux belles
icônes”, pourrait être définie ainsi : une pensée joyeuse
qui se danse. Archange de la verticalité et de l’ascen-
sion par la couleur, son art foncièrement d’immatéria-
lité et d’abstraction continue de resplendir au ciel de la
peinture française, entre grâce et Grèce, Italie et
Bretagne, inspiration latine et celtique, spiritualité et
érotisme, ligne claire etmouvement. Encore faut-il être
attentif au souffle délicat de ces ailes de géant.
Fra Angelico ou rien : telle est à 15 ans la devise du
jeune Denis. Il se veut moine-peintre, et primitif, et
décoratif, et chrétien. Mais ce mystique sensuel aime
trop la chair pour prendre la robe, à l’exemple d’un
Verkade par exemple, véritable Nabi du couvent celui-
là. Denis aime Dieu comme il aime la femme, les
femmes, ses femmes, avec passion. Après les amours
adolescentes avec Jeanne-la-Douce, c’est le mariage
fusionnel avec Marthe, de laquelle il aura sept enfants,
dont cinq survivront. Mais deux ans après la mort de
l’épouse tant adorée, au terme d’une longue et pénible
maladie, dans une chambremortuaire qu’il entoure de
photographies souvenirs d’un bonheur familial enfui,
il épouse Élisabeth, dont naîtront encore deux enfants.
Et l’intérêt qu’il porte par ailleurs aux courbes volup-
tueuses de son modèle pour Psyché, particulièrement
dans une très belle étude au fusain sur calque, n’est
pas d’ordre purement académique : la chair, il la res-
suscite tout de suite, ici et maintenant.
Par Emmanuel Daydé
>
À force de ne voir en Maurice Denis qu’un chrétien tenté par le retour à l’ordre, on a
oublié l’incroyable nouveauté, la splendeur des coloris et l’art solaire d’une œuvre
toute de sensualité et d’abstraction.
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