[Le lundi 9 mai 2005, la veille de son
départ pour Savannakhet, j’ai enregis-
tré cet entretien qui s’est passé dans
l’auberge où Rasi logeait. J’ai posé
très peu de questions et ne les ai pas
mentionnées dans le texte : elles
paraissent superflues. En revanche,
j’ai ajouté des sous-titres (M. B.-S.]
Je crois bien que c’était le bon moment
pour exposer au Laos, dans mon pays,
et surtout à Vientiane. C’était un grand
plaisir, vraiment.
Je considère un peu mes photos
comme mes enfants, et les faire venir,
les montrer au Laos, a été un vrai bon-
heur. Faire venir mes enfants au pays,
c’est plus qu’un bon moment. J’ai eu
envie de les faire reconnaître, ils sont
aussi les fils du pays, il y a du laotien
là-dedans, même si les photos ont été
faites par un
Lao
à Paris…
Ce qui est proprement laotien? C’est ma
manière de regarder, je crois, c’est ça.
Je regarde les choses en profondeur.
Le noir comme matière
La photo, c’est comme la vie d’un
couple, c’est un mystère : la lumière et
l’ombre. L’une ne va pas sans l’autre.
La lumière existe dans la nature, on
peut la mesurer, mais chez moi l’im-
portant c’est l’ombre. En général, les
photographes travaillent avec la
lumière ; j’ai choisi le contraire. Je
pousse l’ombre à bout et elle prend
toute la place. La lumière, elle, n’a plus
que le minimum de place. L’ombre,
c’est la matière première, la mienne en
Rasi, photographe de l’insondable
>
Photographie
tout cas. Le noir comme matière première, c’est
aussi l’absence-présence, et c’est la part cachée de
toute chose, c’est ce qui fait exister toute chose. Mon
ombre existe par la lumière.
J’ai donc choisi de privilégier l’ombre et l’obscur.
Dans mes noirs, il y a une douce lumière qui éclaire
l’image et la rend à la vie.
Ainsi, le sujet de mes photos, c’est la disparition de la
lumière, la recherche de la lumière minimale, celle
qui s’éteint et s’amenuise petit à petit. Mais sans
lumière, pas de noir, pas de vie. Le noir, donc, comme
matériau de base, ce qui donne forme et vie.
L’approche et l’attente
Si j’ai tant attendu avant de vouloir me remettre à la
photo c’est qu’il m’a fallu un long temps d’approche. Il
m’a fallu plus de six ans pour approcher un peu le réel
ici, depuis que je suis de retour, et je ne suis pas sûr
d’avoir touché le réel. On ne l’approche jamais vraiment.
Pendant cette approche, j’ai fait beaucoup de voyages
[Disant cela, Rasi déploie une grande carte du Laos
très abîmée et annotée, et il commente]
. Du nord au
sud et d’est en ouest, j’ai circulé partout : Pongsaly,
Muang Sing, Saravane, Xieng Kwang, la frontière viet-
namienne, etc. La descente du Mékong, les chutes de
Khone, Champassak… Je crois que j’ai fait toutes les
routes possibles en bus, au hasard, et suis parti
chaque fois pendant une semaine, dix jours… Non, je
n’ai pas fait de photos, mais j’ai regardé et enregistré,
j’ai fait des photos mentales. C’était l’approche.
Pendant tout ce temps, j’ai fait des photos avec mes
yeux ; je photographie sans cesse, je n’ai pas besoin
d’appareil. J’enregistre, je regarde, je contemple. Ma
période d’approche m’a pourtant mené dans un lieu
particulier où je vais retourner, je le sais maintenant,
c’est la plaine des Jarres, à Xieng Kwang.
C’est l’endroit le plus beau du pays, c’est là que se
concentre la beauté du Laos. Je suis d’ailleurs parti à la
recherche de la beauté de la nature au Laos. À la
Entretien avec Michèle Baj-Strobel
>
Michèle-Baj Strobel, ethnologue, a rencontré l’artiste au Laos. Celui-ci, après un séjour
de vingt-cinq ans à Paris, a eu le désir “d’un retour au pays” où il a exposé en 2005.
Propos du photographe sur ses nouvelles perspectives.
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