Revue Art Absolument n°92 - Mars/Avril 2020 - Aperçu - page 13

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Le grand lion de Bourgogne Philippe le Bon ne
jurait déjà que par lui, l’appelant son « bien-
aimé valet de chambre et peintre », couvrant
de cadeaux ses enfants et intervenant person-
nellement pour que l’artiste soit payé le plus
rapidement possible. Car aussi puissant que
soit le grand duc d’Occident, sa gloire passait
selon lui par Van Eyck, comme il l’écrit lui-
même : «Nous ne trouverions point le pareil à
notre gré ni si excellent en son art et science. »
Pourtant, hormis la réalisation de portraits
officiels (comme celui d’Isabelle de Portugal,
future troisième épouse du duc, dont il avait pour
mission de «paindre bien au vif la figure») ou la
décoration des résidences ducales de Hesdin,
de Bruxelles et de Lille – auxquelles Van Eyck
aurait participé respectivement en 1432, 1433
et 1434 –, le duc ne semble guère lui confier les
travaux habituellement demandés aux peintres
de cour, que ce soit pour les fêtes ou les tour-
nois. Comme si le «valet de chambre» était déjà
considéré comme un artiste et non comme un
artisan. Après l’avoir incité à quitter le service du
prince-évêque de Liège Jean de Bavière, comte
de Hollande et de Zélande, pour le rejoindre à
Lille, lieu de résidence de sa cour, le duc préfère
dépêcher l’artiste vers des « voyages lointains
ès étranges marches pour aucune matières
secrètes ». Envoyé en missions impossibles,
très chèrement payées, dans les Flandres (ainsi
au congrès d’Arras, âprement négocié par le
grand chancelier Nicolas Rolin en 1435, qui voit
la réconciliation entre Charles VII et Philippe le
Bon, et où Jan semble chargé de réaliser les
portraits des participants) mais aussi à l’étran-
ger, sans doute à la cour d’Alphonse V d’Aragon
à Valence, en vue d’un éventuel mariage de
Philippe le Bon avec sa nièce Isabelle d’Urgel
en 1427, et assurément au Portugal en 1428 et
1429, en ambassade en vue du mariage du duc
avec Isabelle. Voire même, en 1436, en terre
non chrétienne. Comme plus tard Rubens,
Van Eyck aurait eu pour tâche d’espionner les
ennemis du duché en vue de campagnes ou de
croisades à venir. À son retour à l’hiver 1440,
l’espion de sa Seigneurie aurait réalisé « cer-
taines tables ainsi que d’autres objets secrets»,
telle unemappemonde. Si l’on excepte peut-être
Pionnier de la Renaissance du Nord à la cour de Bourgogne, Van Eyck
a réussi à créer un face-à-face unique de l’homme avec Dieu, à la fois
physique et métaphysique, qui lie «cuer, corps et bien
sans faire despartie
».
En réunissant une dizaine de tableaux, dessins et miniatures sur la vingtaine
d’œuvres préservées du maître flamand et en leur adjoignant nombre
de travaux d’atelier et de copies de tableaux perdus, le MSK de Gand
crée, à l’occasion de la fantastique restauration de
L’Agneau mystique
, « la
plus grande exposition Jan Van Eyck de tous les temps»… à condition d’y
adjoindre
les Époux Arnolfini
de Londres et
La Vierge au chancelier Rolin
du Louvre… Honneur, gloire et beauté au prince des peintres, dont le génie
flamand transcende Gand, Bruges et Bruxelles.
PAR EMMANUEL DAYDÉ
Van Eyck :
Voir Dieu
Van Eyck. Une révolution optique
MSK, Gand
Du 1
er
février au 30 avril 2020
Comité scientifique : Till-Holger Borchert,
Jan Dumolyn et Maximiliaan Martens
Jan Van Eyck à Bruges
Groenigemuseum, Bruges
Du 12 mars au 12 juillet 2020
Jan et Hubert Van Eyck.
L’Adoration de l’Agneau mystique
(l’Ange Gabriel,
scène de
L’Annonciation
, retable fermé).
1432, huile sur panneau.
Cathédrale Saint-Bavon, Gand.
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