Revue Art Absolument N°91 – décembre/ janvier / février 2020 – aperçu - page 7

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de rideaux de théâtre. Exaltant enmots son amour du
peintre, l’Andalou écrit, en espagnol, entre le 6 jan-
vier 1957 et le 20 août 1959, son ultime poème drama-
tique,
L’Enterrement du comte d’Orgaz
, en référence
à la plus grande toile du Tolédan. L’utilisation exclu-
sive qu’il y fait du crayon rouge, bleu et vert dote
le manuscrit d’un aspect visuel saisissant, le texte
s’offrant au regard tel un dessin. Tout à sa recherche
«d’émotions spirituelles», le jeune Américain Jackson
Pollock, fou de Greco (dont il possède trois livres),
achève de donner ses lettres de modernité à l’artiste
en analysant, décomposant et dissolvant ses formes
dans d’innombrables dessins et peintures aux accents
surréalistes, qui précèdent ses drippings.
L’influence la plus forte du peintre grec est peut-
être toutefois celle qu’il eût sur un autre faiseur
d’icônes mobiles, le cinéaste en habit d’artiste Sergeï
Eisenstein (cf. article p. 46). Cherchant à déceler du
cinéma avant l’heure dans la peinture et la sculpture
trop extravagant : «Qui pourrait croire que le Greco
retouchait maintes et maintes fois ses peintures, écrit-
il, et qu’il en faisait d’horribles ébauches pour affecter
la vigueur et la sûreté de sa main? » Redécouvert à
la toute fin du XIX
e
siècle, après s’être tenu coi, dans
l’oubli, Greco effectue un retour en force dans la
peinture espagnole. Tandis que les impressionnistes
Rusiñol et Sorolla transcrivent les violents contrastes
de l’ombre et de la lumière en repartant de la leçon du
maître de Tolède, Picasso fait s’étirer ses personnages
de l’époque bleue à l’exemple de Cézanne qui, lui
aussi, copie avec passion ses portraits élongués.
Lorsque le peintre basque Zuloaga a le bon goût
d’acheter en 1905 la
Vision de saint Jean
inachevée,
ultime chef-d’œuvre du Crétois, pour la faire trôner
dans son appartement parisien, Picasso s’empare des
éclairs de ce manifeste moderne pour créer un autre
chef-d’œuvre, les
Demoiselles d’Avignon
, où l’on voit
des corps nus se tordre devant des rochers en forme
Paul Cézanne.
Dame à la fourrure, d’après El Greco
.
1885-86, huile sur toile, 53 x 49 cm.
Collection privée, Londres.
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